Dans les décombres sanglants de la gare de Bologne, le 2 août 1980, le groupe Gladio initiait la "stratégie de la tension" destinée à mobiliser les peurs contre le communisme. Jean-Paul Chaumeil en fait l'acte de naissance de son personnage, un tueur à l'identité protéiforme.
Chargé de mettre de l'huile dans les rouages de la machine à enfumer les peuples, W, Walter ou William, se glisse dans les ombres épaisses de l'état de droit. Soldat de "l'infralégal", il figure le petit personnel d'une officine de sous-traitants. Petit personnel interchangeable, chasseur ou cible en puissance. On a lu ça cent fois. Mais Jean-Paul Chaumeil nous harponne au moment où New-York se met à flotter vers un ailleurs improbable. Nine Eleven.
"New-York n'existe pas, c'est juste un rêve ou un cauchemar". Le récit est irrigué d'une bande son agressive comme si le monde contemporain affûtait ses couteaux sur des accords de rock, une mondialisation acide. Ce n'est que lorsque le jour et la nuit défont les lignes de partage que le jazz réapparaît sous la voix rugueuse d'une femme qui raconte "des histoires de mecs pendus aux arbres".
Le final somptueux où l'on bascule de Coltrane à Santana pour un "Stormy Monday" dévastateur contribue à ruiner les dernières certitudes du lecteur. William astique ses flingues, il nous a raconté sa vie, le western qu'on nous a vendu en nous cachant le sort des Indiens, l'au-delà du Bien et du Mal, et soudain, Jean-Paul Chaumeil nous fige dans la sidération. Premier roman, très bonne pioche.
Ground Zero – Jean-Paul Chaumeil – Rouergue noir – 224 pages – 20€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2015