Quand on prend la ligne N°2 du métro de Shanghai, en s'arrêtant au croisement de la rue de Tianjin et de la rue de Henan, on n'est plus qu'à quelques minutes à pied du meilleur restaurant de nouilles de la ville. Huile d'échalote, beurre de cacahuète et crevettes grillées, l'évocation déclenche un émoi secret des papilles. Montalban ou Camilleri nous ont habitués à cet étrange bonheur de lecture qu'on éprouve aujourd'hui avec Qiu Xiaolong.
Après avoir soutenu une thèse sur le poète T.S. Eliot, l'écrivain chinois né à Shangaï s'est replié à Saint-Louis aux États-Unis pour échapper aux persécutions de la Révolution culturelle. C'est à travers une série policière qu'il s'exprime désormais sur la situation politique de son pays. L'inspecteur Chen, héros de romans noirs vendus à plus d'un million d'exemplaires dans le monde, emprunte à son créateur un goût immodéré pour la poésie et les bonnes tables.
Si le roman noir s'est ancré sur l'émergence d'une civilisation urbaine et la transformation du capitalisme patriarcal en sociétés anonymes pratiquant parfois une violence proche de celle des organisations criminelles, on devine que la Chine contemporaine est son théâtre d'excellence. Qiu Xiaolong raconte une histoire de corruption et de luttes pour le pouvoir, celle à peine déguisée qui valut à Bo Xilai, Membre éminent du Comité Central du Parti Communiste Chinois, de se retrouver en prison.
En rupture de carrière officielle, l'Inspecteur Chen, incorruptible et cultivé, enquête sur les "ernai", maîtresses des riches Taïwanais venus faire du business sur le continent à l'époque de Deng Xiaoping, et "secondes femmes" des cadres du Parti, luxueusement installées et entretenues. Un excellent roman d'atmosphère où le flic poète a tout à craindre des Princes rouges.
Dragon bleu, tigre blanc – Qiu Xiaolong – Traduit de l'anglais par Adélaïde Pralon – Liana Levi – 304 pages – 19€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 16 mars 2014