À lire le roman de Melvina Mestre, on glisse en frissonnant sur la corniche casablancaise, comme dans un fim en noir et blanc où une Fleetmaster, Chevrolet décapotable, déboule dans un virage. Au volant l'impétueuse Kaplan, détective privée, fonce en 1952 vers le quartier général de la police française. Le commissaire cherche à contourner les corrompus de sa boutique pour résoudre une affaire de meurtre. Le corps d'une prostituée marocaine a été découvert au pied d'un monument de la place Centrale.
Aujourd'hui place Mohammed V d'un grand pays indépendant, ce lieu comme tous ceux qu'on va traverser, appartient à la tradition coloniale. Le Maroc est un Protectorat mais le képi du Résident Général est aussi insupportable aux partisans de l'indépendance que la casquette de Bugeaud en Algérie.
Dans un nouveau chapitre à rebondissements, Gabrielle Kaplan nous entraîne jusqu'à Marrakech après un détour du côté du quartier Bousbir, véritable bordel encadré par le "Protecteur" pour contrôler les maladies vénériennes. Le mot "Bousbir" est lui-même une déformation lointaine du français "Prosper", nom de l'ancien propriétaire du terrain. Quant à la prospérité, elle est ici réservée aux mères maquerelles et aux flics corrompus.
Le roman de Melvina Mestre montre à quel point le système colonial s'affranchit de ses propres règles en permettant la quasi-"déportation" des femmes réduites ensuite en esclavage dans les bordels.
Sang d'encre à Marrakech – Melvina Mestre – Points – 228 pages – 12,50€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain