Il faut y avoir vécu et il faut l'aimer beaucoup pour raconter Casablanca comme Melvina Mestre. Mais il faut surtout une rigueur documentaire sans faille quand on prétend restituer la ville marocaine des années cinquante. Si on ajoute l'arrière-plan du film de Curtiz interprété par Bogart et Ingrid Bergman, le frisson du noir et blanc se glisse comme un sous-texte permanent dans cette première enquête de Gabrielle Kaplan. Le film racontait le Casablanca de la guerre, le roman, lui, installe son décor dans la période suivante.
C'est très précisément en 1951 que l'héroïne de Melvina Mestre emprunte sa Chevrolet Fleetmaster décapotable puis se fraie un passage entre les "bourricots" et les grosses américaines pour rejoindre le boulevard de la gare et son agence de détective privé(e). Hormis le fait que le "privé" soit une femme, on pourrait s'attendre à une avalanche de clichés autour de cette figure du roman noir californien.
Références, certes, mais mâtinées d'irrévérence envers le machisme du siècle dernier. Gabrielle est assistée d'un collaborateur marocain et d'une secrétaire aussi "ponctuelle qu'un coucou suisse" pour récupérer des documents chez un notable.
Au moyen de ce classicisme formel, la performance de Melvina Mestre consiste en fait à sonder les ombres délétères du Protectorat. Mafieux, barbouzes américaines, surprenantes révélations sur le rôle du maréchal Juin, inoubliables virées dans les coulisses du Miramar de "Fédala" (Mohammedia) et dans celles du tournage d'Othello d'Orson Welles à "Mogador" (Essaouira) nous offrent un passionnant travelling dans le rétroviseur colonial.
Crépuscule à Casablanca – Melvina Mestre – Points – 190 pages – 11,90€
Lionel Germain
Lionel Germain
Prix du polar Sud-Ouest/Lire-en-Poche 2023
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