Au premier chapitre du roman, les deux flics sur la scène de crime sont caractérisés avec insistance: Anthureau est un sensible, Molinari, un taiseux impassible. Quant à la victime, c'est un Arabe qu'on a vidé de son sang reversé dans un jerrycan. Il fait chaud. On est le premier juillet 1962 et la radio diffuse "Apache", la musique des Shadows.
À Marseille, sur le Vieux-Port, un mafieux contemple son yacht. Un bateau pour la frime sur lequel on fait danser Deferre et le conseil municipal. L'homme s'appelle Marcel Azzara. La fin de la guerre d'Algérie ne le réjouit pas mais il a quand même de grands projets pour ses affaires. Spécialement le raffinage d'un certain produit destiné à l'exportation vers les États-Unis.
Pas d'inquiétude à avoir du côté de la police. Quand vous demandez la police à Marseille en 1962, vous tombez sur un panier de crabes issus de tous les partis de la Résistance, gauche-droite confondues. Gérard Lecas en résume les contradictions avec ses deux flics: Anthureau du parti communiste et Molinari, protégé de Foccart et membre du SAC, la milice chargée du sale boulot gaulliste.
Le lecteur est en outre invité dans les coulisses du Plan Bleu, avec les actions souterraines de la CIA destinées à empêcher les communistes d'arriver au pouvoir après la Seconde Guerre mondiale. Mais ce que l'auteur met au centre de sa réflexion sur cette période, c'est la notion de "violence légitime".
Torture d'un côté, exactions abominables de l'autre, évocation du 5 juillet à Oran et du massacre des Européens, petit coup de projecteur sur le rôle de la CGT dans le refus d'accueillir les Pieds-noirs et explication du titre énigmatique: autant de brevets pour une mauvaise conscience universelle.
Le sang de nos ennemis – Gérard Lecas – Rivages/noir – 284 pages – 21€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain