Dans une carrière consacrée en très grande partie à la science-fiction, puis à une production romanesque influencée par l’École de Brive – romans familiaux et historiques, davantage que "régionaux", Michel Jeury (1934-2015) n’écrivit qu’un seul polar. C’était en 1984, il y a tout juste quarante ans.
Sans doute "Les Louves debout" (Coll. Engrenage, Fleuve noir) fut-il précédé par "Mort d’un salaud", brève esquisse très noire sur fond de résistance parue en anthologie (Nouvelles 3, Julliard, 1958); sans doute également l’œuvre de Jeury s’enrichit-elle après sa mort de ce "polar 1900" dont il rêvait et que l’on a retrouvé dans ses archives (Les trois veuves, Robert Laffont, 2017); mais cette enquête rétro au pays des soyeux menée par un Sherlock Holmes en jupons relève plus du roman policier traditionnel.
Tandis que "Les Louves debout" paraît dans une collection dédiée au "néo-polar", créée en 1979 par Alain Varoux aux éditions Jean Goujon, puis passée au Fleuve noir en 1981, qui revendiquait ainsi sa modernité à l’époque: "La violence a changé. Le polar aussi. Laissez tomber les vieux polars… Engrenage, des bouquins en prise directe sur aujourd'hui. Engrenage, l'autre face du temps présent" (cité par Claude Mesplède, Dictionnaire des littératures policières, Temps noirs/Joseph K, 2007).
Les lecteurs habitués à l’abondante production de Jeury dans la collection "Anticipation" du Fleuve noir au même moment n’ont été ni surpris ni dépaysés par cette incursion dans un autre genre, l’action était toujours au rendez-vous, servie par une écriture parfaitement maîtrisée et sans rondeurs superflues.
Tout au plus les lecteurs attentifs auront-ils remarqué le rôle grandissant de l’élément féminin dans ce roman, les points de vue masculin et féminin alternant, puis le féminin l’emportant, plusieurs chapitres étant rédigés à la première personne par une femme.
On trouve ici l’annonce d’une sorte de changement de paradigme qui marquera la suite, dans les romans de terroir où les femmes jouent le premier rôle et sont souvent les narratrices – et dans le dernier SF, "May le monde" (Robert Laffont, 2010), dont le personnage principal est une petite fille. Déjà, en 1981, dans "Le Crêt de Fonbelle" (Seghers, 1981) Jeury avait donné la parole à sa mère, Claudia, dont l’influence va se faire grandissante sur son écriture.
Mais ici, ni mères, ni épouses, ni filles, les deux jeunes "louves debout" qui mènent le bal dans cette histoire de hobereau vieillissant en lutte avec un fils tourmenté par un œdipe ravageur, sur fond de meurtre jamais élucidé, dans une région, le bergeracois, que l’auteur connaissait bien (il vivait à Issigeac à l’époque où se situe le récit), appartiennent bien à l’autre face du temps présent!
Ce polar de 1984, écrit à un moment où l’auteur envisage de quitter la Dordogne pour le Gard, les vertes collines d’Issigeac pour la bambouseraie d’Anduze, et la SF pour le roman de terroir, marque bien une étape décisive dans son œuvre et sa carrière.
Les Louves debout - Michel Jeury - Engrenage/Fleuve noir - 184 pages (février 1984) – Prix variable (entre 3 et 7 euros) sur les sites de librairies en ligne - ****
François Rahier
François Rahier