C'est du belge, et on adore. Flamand souvent, pétri de brume et de lueurs fantasques, le roman s'émancipe des couloirs balisés pour flirter avec le fantastique comme si le réel n'était jamais qu'une rationalisation délirante. On y croise Nadine Monfils, Caroline de Mulder, Toni Coppers, Alexandre Lous ou le cultissime Johan Daisne.
Patrick Conrad appartient à cette tribu qui décline l'invitation au genre, dans les deux sens du terme: faire faux bond aux ripailles traditionnelles ou proposer un menu de rechange. De la recette originale, il nous reste le flic et le cadavre, mais ni l'un ni l'autre n'occupe la position convenable. Theo Wolf est sorti de prison après avoir été condamné pour avoir assassiné un homme suspect du viol et du meurtre de sa fille. Théo Wolf était flic, il sera dératiseur.
Et c'est au cours de cette mission de salubrité publique qu'il tombe sur le cadavre d'une femme dans un studio de cinéma porno abandonné. Le voilà qui fait de la résistance, de la rétention de scène de crime dans ce crépuscule poussiéreux où résonne le tube de Harry Belafonte qui donne son titre au roman: "Try to remember".
Obsédé par la victime, Théo s'enferme "à la recherche d'une chaleur résiduelle" chez cette morte qui pourrait bien avoir eu une carrière de Broadway à Anvers.
"Il eut la sensation de s'enfoncer dans des sables mouvants glacés, d'être entraîné comme dans un tourbillon au fin fond de l'horreur, jusque dans les eaux les plus profondes et les plus obscures, là où morts et vivants se réconcilient en dansant dans une nuit éternelle et poisseuse."
Une proximité envoûtante entre les vivants et les morts qui semble hanter chaque page de ce roman.
Au fin fond de décembre – Patrick Conrad – Traduit du néerlandais (Belgique) par Noëlle Michel – Actes Sud actes noirs – 288 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain