Ça se joue en cinq actes, avec une dramaturgie et un sens du tempo impeccables. Après une série consacrée à son héros, le capitaine Mehrlicht qui lui a valu notamment le Prix des lecteurs du livre de Poche en 2019, et un cycle de polars sous les auspices des "Furies", déesses de la vengeance, Nicolas Lebel plante son décor de tragédie dans le pénitencier Pieter Brughel où l'enfer accueille les âmes damnées.
Théo Pereira est un détenu dont le crime est presque accidentel. Une imprudence au volant qui a quand même provoqué la mort d'une femme. Le premier temps fort de cette tragédie nous renvoie au statut social des détenus. Théo a des diplômes littéraires, autant dire un handicap dans un univers où règne la loi de la jungle.
"Mais ses manières, sa façon de parler, son vocabulaire n'ont pas tardé à marquer la différence, à le gratifier d'une certaine noblesse aux yeux des autres. (…) Ça en amuse certains. Ça en énerve d'autres. Le reste s'en tape, surtout les étrangers qui baragouinent un français imaginaire. Il n'y a pas de camaraderie, de copinage, de complicité possible, ici."
Pas question non plus de tourner la page: une fois par mois, Pierre Moulins, le veuf apparemment inconsolable, vient lui rendre visite au parloir pour exiger de Théo qu'il raconte les circonstances de l'accident. La même histoire à chaque fois contre la promesse d'un témoignage favorable devant la commission de libération anticipée. Théo espère une réduction de peine qui ne viendra jamais. En réalité, non seulement Pierre Moulins n'a aucun projet rédempteur pour ce pauvre Théo mais il soudoie un bourreau chargé de supplicier jour après jour sa victime.
La tragédie avance au cœur du pénitencier restituant la vérité souvent sordide des protagonistes, matons et prisonniers. Et Nicolas Lebel nous tient en haleine avec un scénario dont le renversement de l'Acte V est un petit bijou de perversité.
Peines perdues - Nicolas Lebel – Le Masque – 249 pages – 20,90€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain
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