Des pays jamais nommés se recomposent autour d'une ville centre, Caréna, capitale du roman noir qui égrène des douleurs intemporelles. Dès le titre, "Jusqu'à la corde", Lionel Destremau s'amuse à contrer le regard. À laisser le lecteur se fourvoyer de l'érosion ultime des conventions littéraires à la matérialité tragique des pendus.
Comme dans tout polar, un flic de série B va collecter les indices autour du cadavre d'un gamin noir retrouvé au cœur de la forêt. Mais au moment où le ressassement pourrait épuiser le roman, surgit la "poétique" qui allume ses feux sur l'imaginaire. Une "poétique" au sens premier que les Grecs lui donnaient, c’est-à-dire la fabrication du monde. En miroir, il nous renvoie à nous-mêmes, aux horreurs de la guerre et à l'intolérable cruauté de l'apartheid qui détermine le destin de cet enfant.
Lionel Destremau pétrit avec rigueur la pâte de ses personnages. À travers chacun d'eux s'énonce la certitude d'une présence familière, chaque lieu décrit s'apparente à un ailleurs possible, et le roman nous mène alors avec brio de la fable à l'épiphanie du réel.
Jusqu'à la corde – Lionel Destremau – La Manufacture de livres – 384 pages – 20,90€ - *** –
Lionel Germain
Lionel Germain
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