Dick est mort le 2 mars 1982, trois mois avant que sorte le "Blade Runner" de Ridley Scott qui consacra sa notoriété au cinéma. Depuis, une douzaine de films ont été produits, exploitant souvent de courtes nouvelles des années 1950, "Total Recall", "Planète hurlante" ou "Minority Report" pour citer les plus connus, et Disney jeta même un jour son dévolu sur "Le Roi des elfes" pour un dessin animé qui resta sans suite. Entretemps on publiait l’adaptation écrite par Dick lui-même du roman "Ubik", autour duquel rêva un moment Michel Gondry – et aussi son scénario pour la série "Les Envahisseurs" plus parano que toutes les aventures déjà tournées de David Vincent, et qui ne fut pas retenu.
L’événement de ces derniers mois est constitué par la série de Frank Spotnitz "The Man in the High Castle", produite par Ridley Scott, qui adapte le roman traduit en français sous le titre "Le Maître du Haut-Château", une uchronie où Allemands et Japonais, vainqueurs du second conflit mondial, se sont partagés les États-Unis. La première saison renforce l’impression que le lecteur a souvent quand il voit un film tiré d’une œuvre de Dick: l’auteur était un merveilleux pourvoyeur d’idées pour des réalisateurs qui allaient tirer de textes de quelques pages tout un long métrage.
Ici un gros roman se voit décliné en deux saisons – au moins – de 10 téléfilms d’une heure chacun. Le "Blade Runner" cyberpunk de Ridley Scott différait beaucoup de l’œuvre originale (traduite d’abord en français sous les titres "Robot Blues" puis "Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques"?) qui proposait une vision du monde que n’auraient pas reniée Pascal ou Samuel Beckett. L’uchronie de Spotnitz et Scott est dans l’air du temps d’une époque – la nôtre – que le sentiment d’être arrivé au bout d’une certaine histoire amène à jouer avec les représentations du passé, le nazisme en l’occurrence, pour, au mieux, tenter d’en comprendre les rouages, les luttes au sommet du pouvoir en particulier.
Ces conflits d’intérêt étaient déjà présents chez Dick, notamment quand il évoque la mort de Bormann, lui-même successeur du führer – mais pas la Résistance qui joue un rôle important dans la série. Et dans son uchronie de 1962, le "Yi King", le Livre des mutations des taoïstes, a davantage d’importance que la mystérieuse histoire alternative écrite par l’habitant tout aussi mystérieux du Haut Château. C’est la réalité dans son fondement même qui est en jeu dans ce roman dont l’adaptation en série, malgré toutes ses qualités, n’est qu’un palimpseste – comme beaucoup de films adaptant l’œuvre de Dick d’ailleurs.
Le Maître du Haut-Château - Philip K. Dick – Nouvelle traduction par Michelle Charrier enrichie des deux premiers chapitres inédits d’une suite inachevée - Nouveaux millénaires/J’ai lu - 380 pages – 7,60€ -
François Rahier