Il est pour le moins inhabituel de refermer un livre et de se dire: "que s'est-il passé au juste?" La scène inaugurale d'un roman à énigme ou d'un roman noir offre en général un cadavre en pâture au lecteur/enquêteur. Aux anciens et aux modernes, Charles Palliser répond qu'ils jouent avec des leurres. Ce n'est ni le désir de Vérité ni la Compassion qui animent l'écrivain et par procuration le lecteur. Mais alors que s'est-il passé au juste, dans ce livre que rien n'aurait pu nous faire lâcher avant la dernière page?
Des voyageurs, dans un train bloqué par le froid, se racontent des histoires, et la mort qui survient pour l'un d'eux n'est sans doute pas étrangère aux récits qu'ils se font. Ouvert sous le signe suranné du mystère, le roman explore ensuite une multitude de voies apparemment extravagantes pour interroger tous les grands mythes de la littérature criminelle. Au point qu'on finit par oublier les enjeux d'une narration farcie de chausse-trapes.
Sherlock Holmes, Jack l'Eventreur, les séries policières télévisées, Kipling, Barthes et Lacan, le vrai et le faux, tout s'entremêle sans jamais nous décider à rompre avec le désir de savoir où Palliser veut en venir. A cela sans doute, emprunté à Barthes: "A chaque fois que le langage fait sens - par le biais du signifiant -, il tient sa promesse de vouloir dire, mais en la différant avec une exquise malice." Érudite et d'une habileté extrême, la malice est ici éblouissante.
Trahisons – Charles Palliser – Traduit de l'anglais par Éric Chédaille – Phébus – 400 pages – 23,05€ - ***
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – avril 1996
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