Empruntant sa structure au Rashomon de Kurosawa, le deuxième volet du triptyque de David Peace consacré au Tokyo de l'après-guerre s'organise autour de douze points de vue symbolisés par douze chandelles qui vont s'éteindre l'une après l'autre, prenant à rebours le principe d'éclaircissement pour livrer le récit aux ténèbres.
Quand le crime reprend les chemins convenus du fait divers, comme ce 26 janvier 1948 où un homme prétendant soumettre les membres du personnel de la Banque Impériale à une vaccination obligatoire en empoisonne une douzaine avant de disparaître, la recherche d'un coupable ne peut pas coïncider avec l'émergence de la Vérité. Ce crime consubstantiel aux hommes qui errent dans les décombres, terrassés par la faim et par la rage de la dissolution, en dissimule un autre plus terrible commis en Chine au nom de l'Histoire.
Le phrasé d'Ellroy a bousculé les amateurs de suspense mais David Peace prend d'autres risques. Dans un ouvrage publié aux Presses Universitaires de Rennes ("Manières de noir"), Stéphanie Benson évoque pour "GB 84" une proximité avec Joyce, un rapport commun à l'exil et une interrogation problématique sur ce qui fonde le désir d'écrire. Il est intéressant de noter les fréquents allers-retours entre terre native et terre d'accueil chez un auteur dont la puissance poétique s'incarne à ce point dans l'apparente dépossession du narrateur. C'est à lui pourtant qu'appartient cette voix, bombe à fragmentation qui détruit la toute puissance mensongère du récit et abandonne l'écrivain au chevet d'un encrier de larmes. Un livre majeur.
Tokyo ville occupée – David Peace – Rivages noir (février 2012) – 416 pages – 10,65€ - **** –
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 14 novembre 2010