Avec "EFFROI", les éditions Rivages ont tenté de faire vivre de 1995 à 1997 une collection destinée à satisfaire les amateurs de frissons.
Mais des frissons très différents de ceux que provoque le thriller, où l'irruption de l'irrationnel est, comme chez Robert Bloch dans "Psychose", la confrontation entre la pathologie d'un personnage et la normalité supposée des autres. Ici, dans cette littérature qu'on peut qualifier aussi de fantastique, l'irrationnel représente une donnée de l'univers réel, du moins celui que l'écrivain soumet à ses lecteurs.
Avec soit le risque d'utiliser cet irrationnel en "deus ex-machina", soit la chance de retrouver une poésie de "l'horreur", variante aboutie de l'effroi quand le grand guignol distancie ses propres contraintes.
Dans les nouvelles policières de Poe, le sentiment fantastique qui domine est la conséquence d'une infirmité de lecture que la logique éblouissante de Dupin permettra d'effacer. On ne trouve plus trace de cette euphorie positiviste dans la littérature contemporaine qui semble même procéder à l'inverse: du raisonnable vers le chaos sensible.
Ainsi, quoi de plus raisonnable que le départ de "Cauchemar cathodique", où l'on découvre un jeune scénariste, Alan White, prêt à tout pour décrocher le jack-pot dans l'enfer des usines à rêves hollywoodiennes. Rien n'est exagéré dans la peinture de ce milieu: tout le monde sait qu'il faut aller plus vite et plus loin que les autres pour avoir une chance d'exister. Le sexe et la violence fonctionnent comme une drogue dont il faut augmenter les doses entre les pauses publicitaires, et Alan White a concentré tous ces ingrédients dans une nouvelle série baptisée le Mercenaire.
A partir du moment où la série va lui procurer la fortune, elle va également retourner sa brutalité et sa violence contre le monde réel qui l'a imaginée. La fable est évidente et s'éclaire encore à l'épilogue avec cette sentence de Fritz Perls: "Rien ne change, sauf à devenir ce qu'il est." A noter que l'auteur à de qui tenir puisqu'il est le fils de Richard Matheson, auteur de science-fiction et de fantastique disparu en 2013.
Donc, la télé tue. Elle augmente sa dose de violence pour continuer à fournir l'excitation indispensable et elle modélise des spectateurs pour les apocalypses futures. Comme dit Matheson, "L.A. n'avait pas besoin d'un maire. Mais d'un réalisateur." Et c'est finalement la thèse hallucinante que développe Lary Beinhart dans "Reality Show".
Si la nature du pouvoir aujourd'hui, c'est de maintenir le spectateur en dépendance, alors le Q.G. qui garantit le succès de l'entreprise, c'est l'Underworld médiatique. Un Q.G. bien réel qui projette l'irréalité du monde sur nos écrans. Quand George Bush s'effondre dans les sondages, le scénariste s'avance et le bunker hollywoodien s'apprête à fabriquer la légende homérique du Prince. La guerre, coproduite par le Pentagone et CNN, sera la première scénarisation de cette ampleur, avec un casting d'enfer.
"Ce ne sont pas les critiques qui ont tué le Viet-Nam. C'était un film ennuyeux. Trop long." Le bouquin de Beinhart est génial. Rien de ce qu'on lit ne semble farfelu et tout prouve pourtant que le monde est à l'envers.
David Ambrose est également scénariste. Il signait en 1995 avec "L'homme qui se prenait pour lui-même" son premier roman qui fut réédité en 1999. Un type se réveille à l'hôpital après un accident de voiture et demande des nouvelles de son fils à sa femme. Celle-ci lui apprend qu'il n'a jamais eu d'enfant. Beaucoup d'habileté chez Ambrose pour nous faire partager toutes les trajectoires possibles de l'existence.
Psychose – Robert Bloch – traduit de l'américain par Emmanuel Pailler – Préface de Stéphane Bourgoin – Alvik-Moisson Rouge – 187 pages – 15,21€ - ***
Nouvelles extraordinaires – Edgar Poe – traduit de l'américain par Charles Baudelaire – Préface de Tzvetan Todorov – Folio classique – 384 pages – 5,60€ - ***
Cauchemar cathodique - Richard Christian Matheson - traduit de l'américain par Frank Reichert - Rivages "Effroi" – 359 pages – 19,67€ - **
Reality show - Larry Beinhart - traduit de l'américain par Francis Kerline – 560 pages - Folio Gallimard – 9,40€ - ***
L'homme qui se prenait pour lui-meme - David Ambrose - traduit de l'anglais par Philippe Rouard - J'ai Lu – 316 pages - 6,70€ - **
Lionel Germain – d'après un article de Sud-Ouest-dimanche – juin 1995