Dans un premier roman, on avance chapitre après
chapitre à la rencontre d'une voix nouvelle. Peu à peu, on pose des balises
pour tenter d'apercevoir la tribu à laquelle cette voix pourrait appartenir et
assigner une filiation au texte. La collection est souvent un indice. Les
auteurs français de la Série noire constitueraient par exemple un groupuscule
pressé de solder l'héritage de Manchette. En publiant "Quai des
enfers", Gallimard démontre l'ineptie d'une entreprise concertée mais
valide l'émergence d'un ton et d'une thématique à chaque fois singulière.
Ingrid Astier, c'est la reine de la nuit. Un zodiac,
à l'ouverture, glisse sur les eaux ténébreuses de la Seine. A son bord, les
flics de la Brigade fluviale auscultent les flots boueux et découvrent à
l'escale du Quai des Orfèvres une barque avec le cadavre d'une femme. C'est
bien-sûr la Brigade criminelle qui se charge de l'enquête mais les hommes du
fleuve en restent les partenaires privilégiés. La victime a reçu des menaces
accompagnées de roses déchiquetées et d'autres cadavres viennent bientôt
s'échouer dans d'autres barques. Il serait vain de réduire l'intrigue à la
résolution d'une affaire criminelle tant la séduction vénéneuse des eaux qui
traversent Paris domine le projet littéraire. Le véritable secret est tapi dans
les nappes de brume qui coiffent le fleuve, dans les terreurs nocturnes que
chacun de nous adore avoir à redouter. Qu'importe le coupable, on veut naviguer
entre les pétales de rose qui honorent la peau marbrée de ces cauchemars, se
perdre entre réel et fiction dans les échos d'Apollinaire, de Rimbaud ou de
Robert Desnos, espérant la délivrance de l'aube: "Si vous avez des peines de cœur,
amoureux, n'ayez plus peur de la Seine."
Quai
des enfers - Ingrid Astier - Série noire Gallimard – 400 pages – 17,50 euros -
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Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 7 février
2010
Prix Calibre 47 décerné en 2013 pour Angle mort