Comment
évoquer un fantôme sinon en égrenant quelques syllabes qui deviendront la pâte
avec laquelle on pétrira le songe. "Elle s'appelait Katherine Carr…",
poétesse inconnue et mystérieusement disparue mais dont le nom est une
promesse. Une histoire léguée au journaliste George Gates par un flic à la
retraite. Le problème du flic, c'est cette enquête inaboutie et ce récit laissé
par Katherine Carr où la fiction se mêle au témoignage. Le problème de George
Gates, c'est cette phrase inachevée sur laquelle il a préféré s'attarder plutôt
que d'aller chercher son fils à l'arrêt de bus. L'assassin, lui, était à
l'heure.
Sept
ans plus tard, en réalisant un reportage sur une gamine de douze ans, Alice,
petite vieille au visage ridé atteinte de progéria, George va tenter de
comprendre le sens de sa propre histoire. Exigeante et pressée, Alice s'abandonne
au principe de Shéhérazade. Le temps du récit prolonge sa vie menacée elle
aussi à tout moment de disparition. Médiation entre les mondes visibles et
invisibles, elle est l'enfant qui va mourir d'avoir déjà trop vécu. Thomas H.
Cook convoque Henri James, les reflets agités de l'âme qu'on appelle des
revenants, des détournements de miroir assignés à résidence entre les pages
d'un livre. Un territoire de fiction dont l'unique projet est de différer le
retour à l'absurdité tragique du monde. Un roman fiévreux et bouleversant.
L'étrange destin de
Katherine Carr – Thomas H. Cook – traduit de l'américain par Philippe
Loubat-Delranc – Seuil – 296 pages – 19,80€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 24 février
2013
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