Trois bouquins posés sur la table de chevet pour une traversée vers les lumières froides et les sonorités rugueuses. Norvège, Islande, Suède, trois escapades, trois nuitées, trois étoiles. Taxe de séjour: quarante-huit euros et soixante centimes.
NUIT 1: LA
COMPLICITÉ DU GEL
Premier
roman d'un Norvégien qui a obtenu le prix des Libraires pour ce polar,
chronique réussie d'un village où l'hiver est une saison de l'âme.
Dans les polars venus du Nord, on ne résiste pas
dans un premier temps à cette étrangeté climatique, cet au-delà du froid qui ne
correspond à rien de connu sous nos latitudes. Une partie de la Scandinavie se
situe au-dessus du cercle polaire alors que l'Islande flirte avec cette
frontière naturelle. Près de 80 pour cent des 5 millions de Norvégiens habitent
le sud où se concentrent les villes mais la plus grande d'entre elles, Oslo, a
une population inférieure à celle de l'agglomération bordelaise. Cette
confédération de villages ancrés autour des lacs et des fjords abrite des
hommes silencieux, adeptes d'un christianisme austère. C'est le deuxième temps
de la fascination, l'homme des saunas courant nu dans la neige entre deux
sermons du pasteur. Un portrait mythique bien-sûr, mais les éditeurs français
ont compris sa puissance exotique. Cet arrière plan social et religieux
s'impose à la lecture du premier roman publié en France de Levi Henriksen.
Son héros, Dan Kaspersen, revient dans son village
après un détour par la case prison pour une affaire de trafic de drogue. Dans
la ferme familiale, plus rien ne peut le retenir: ses parents sont morts, son
frère s'est suicidé un peu avant sa sortie de prison, une machination le réduit
à son statut de criminel et semble lui interdire une réintégration au sein
d'une communauté, complice par son
silence du gel qui assiège les mémoires. C'est donc une histoire de rédemption
contrariée que nous raconte Henriksen. D'abord par la culpabilité que Kaspersen
éprouve vis à vis de la mort de son frère Jacob, ensuite par les enjeux de
classe qui le séparent des notables. En revisitant ses souvenirs, il nous
permet d'appréhender le fonctionnement tribal de ses sociétés villageoises:
luthériens contre pentecôtistes, riches contre pauvres, Bible contre Bible.
Henriksen déploie son intrigue policière avec habileté en la nourrissant d'une
chronique de la vie paysanne d'où émerge le portrait réussi et très attachant
d'un homme de bonne volonté.
Du
sang sur la neige – Levi Henriksen – Presses de la Cité – 355 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 24 octobre 2010
NUIT 2: NOIR
D'ISLANDE
La
particularité du roman nordique, c'est cette lenteur qu'on retrouve dans des
atmosphères plus proches de Simenon que de l'effervescence stylistique de James
Ellroy. Depuis la Cité des Jarres, on sait que l'Islandais Arnaldur Indridason
appartient à cette famille d'écrivains. Il y a le froid
et l'arrière-plan presque dépressif de cet hiver arctique mais sa singularité
tient peut-être autant à la proximité des pôles qu'au caractère insulaire de
son œuvre. La géographie commande le style. On imagine Reykjavik comme un
village où les destins se séparent la nuit venue derrière la buée hostile des
carreaux. Les âmes repliées sur une chaleur capitalisée en secret déclinent
leurs sentiments avec parcimonie. Au cœur de ce monde clos flanqué de brumes,
l'exhibitionnisme dénote un manque de savoir-vivre.
Jamais consolé de la mort de son frère dont
il se sent responsable, le commissaire Erlendur est le flic le plus malheureux
du monde. Son humanité bien réelle transpire sans s'ébruiter. Incapable
d'étreinte, il nous plonge avec lui dans un désespoir sans nom. Parce qu'on
l'aime, Erlendur. Il est bien le seul à comprendre le chagrin des mères. A
saisir le désarroi d'une population immigrée que les indigènes méprisent. A
écouter loin dans la nuit les pleurs d'une femme au téléphone. A réussir le
pari de demeurer, livre après livre, ce héros désenchanté qui nous enchante.
Hiver Arctique – Arnaldur
Indridason – Métailié – 335 pages – 19€ - Point Seuil - 7,60€ - ***
Lionel Germain –
Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2009
Sur ce blog: La muraille de lave - Indridason
NUIT 3: HÔTEL
DU NORD
Une
lumière froide et cette sensation que les nuits seront interminables imprègnent
Winter, le bien-nommé, commissaire de la police criminelle de Göteborg en
Suède. Ce flic hivernal qui rêve aux nuits d'été sur la Costa del Sol, traque
avec une lenteur assumée l'assassin d'une jeune femme retrouvée pendue dans une
chambre d'hôtel. Le souvenir d'une autre disparition, dix-huit ans plus tôt au
même endroit, le persuade d'un lien mystérieux entre les deux affaires. Un
clair-obscur très maîtrisé.
Chambre
numéro 10 - Ake Edwardson - 10/18 - 500 pages - 8,60€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 16 novembre
2008