Jacky Schwartzmann décape le fond de sauce du roman noir français, mélange d'indignation et de dénonciation du "système". Plutôt du style à pratiquer le bourre-pif idéologique, il plante sa caméra dans le ventre du monstre avec un personnage d'acheteur au service d'une grande entreprise modélisée pour le profit maximum. Gaby Aspinall "achète" auprès de fournisseurs dont il réduit la marge année après année. Dans la peau du narrateur, le lecteur devient cette ordure intégrale capable du pire pour se maintenir au top des prédateurs.
Véritable bombe fictionnelle à fragmentation, le roman bouscule par la virtuosité du monologue qui n'est pas sans rapport avec les coulées verbales de Céline. "Dans la hiérarchie des salopes, il y a les députés, les avocats, les banquiers, les assureurs, les agents immobiliers et les acheteurs. Je suis acheteur chez Arena." Avec des digressions qui tuent comme celle développée dans la salle d'attente du toubib à partir des affiches de "dépistage par le toucher rectal".
L'improbable transfert compassionnel du lecteur vers ce type abject s'explique par cette lucidité sans faille avec laquelle il s'analyse et qui le cloue au sol, victime de ses propres armes. Mépris des syndicats, des hommes politiques, de ce capitalisme du futur épinglé par la démonstration brillante d'une femme fatale, tout s'articule autour de cette violence du monde, de la hiérarchie des crimes, et du désir qui s'invente une impasse obscure. Cynique drôle, déroutant, révoltant, et selon la formule convenue: "impossible à lâcher avant la dernière page".
Mauvais coûts – Jacky Schwartzmann – Points Seuil – 216 pages – 6,70€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 avril 2018Lire aussi dans Sud-Ouest