Le titre du nouveau roman de Franck Bouysse annonce la couleur et la matière argileuse dans laquelle il enracine son histoire, cette terre du Cantal brûlée par les deniers feux de l'été 1914. L'aube, après une nuit d'orage, réunit dans une cour de ferme une famille de paysans: Victor, le père, Mathilde, sa femme, Joseph, son fils adolescent, et Marie, sa mère. La lumière grise éclaire une scène de western grotesque où le père n'est qu'un héros involontaire enfourchant César, son percheron réquisitionné pour participer au premier carnage du vingtième siècle.
Pourtant, ce n'est pas la guerre le sujet du livre. On dirait que le mouvement littéraire des "nature writers" américains colonise avec bonheur les dernières friches du polar français. Pascal Dessaint, Hervé LeCorre, Elisa Vix et quelques autres comme Pierre Guittaut en Série noire, retrouvent chacun à sa manière, l'attraction des grands espaces, la fusion enivrante ou mortifère avec la nature. Depuis "Grossir le ciel", prix du Polar Sud-Ouest/Lire en Poche, Franck Bouysse engage son travail dans la confrontation des hommes avec la terre.
Et pour cet été 1914, ce sont désormais les femmes qui "occupent" le paysage. Joseph n'est qu'un adolescent, les hommes qui restent sont des vieillards ou des infirmes. Les passions s'attisent dans le manque, l'ordre établi des sentiments est bousculé par l'absence des maris, le désir s'émancipe dans la culpabilité du déshonneur. En restituant toutes les nuances du gris, les éclats de soleil éphémères entre deux trempées, les vertiges amoureux du jeune Joseph et les échos lointains d'une guerre inexpliquée, c'est le terreau d'une brutalité domestique que le roman fertilise avec un art indiscutable.
Glaise – Franck Bouysse – Manufacture des livres – 424 pages – 20€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 septembre 2017