Docteur Chance est un neuropsychiatre expert auprès des compagnies d'assurances. En cherchant à le mettre sur la paille, sa femme l'oblige à vendre son mobilier français. C'est donc en quelque sorte pour sauver les meubles qu'il se précipite dans les bras du mystérieux monsieur "D", colosse aux allures de vétéran de l'armée américaine. L'énergumène maquille la brocante en antiquité rentable mais manifeste surtout une dangereuse propension à fournir son aide.
Pour les yeux troubles d'une femme mariée à Blackstone, un flic violent et corrompu, le Docteur Chance se retrouve embringué avec "D" dans un système qui outrepasse les droits de la défense ou de l'auto-défense. Le système "D", ça consiste à ne jamais avoir à subir la violence des autres. "D" ne dort pas, affute ses tomahawks, se prend pour un surhomme, pourrait bien ne pas survivre à une crème glacée à cause de son diabète, et retourne parfois à son identité malheureuse, celle d'un homme nommé Darius, frappadingue et sans attaches avec le corps des Marines.
Dans ce roman de Kem Nunn, le principe de réalité arbore l'insigne d'un flic corrompu au cœur d'une ville où les effets du mal affleurent. En rappelant comment San-Francisco fut le dernier théâtre expérimental de Foucault, le Docteur Chance découvre en Blackstone son frère de nuit. Et le polar épris de réel s'efface alors devant le système "D", un système délirant sans autre vérité que celle "d'un monde toujours plus sombre (…) d'injonctions vaines et d'enfants disparus, de pédophiles et de snuff movies, de prostitution et de drogue, d'abus d'influence et de cadavres enterrés." Un grand roman noir.
Chance – Kem Nunn – Traduit de l'américain par Clément Baude – Sonatine – 380 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2017lire aussi dans Sud-Ouest