On est à Abiquiu, au Nouveau-Mexique, dans le monastère du Christ où le silence n'est rompu à de rares instants que par les psalmodies des moines. Auprès d'eux, un homme est venu en quête de prières et de calme. On lui a confié le rucher et chaque matin, après les laudes, il inspecte ses plateaux garnis de miel puis il en retire un de sa ruche, "sort le pistolet Sig Sauer 9mm et vérifie qu'il est chargé". Les moines l'appellent l'apiculteur, un homme dont ils ne savent rien. Son vrai nom, c'est Keller.
Les lecteurs de "La Griffe du chien" auront reconnu le flic épuisé par vingt ans de luttes contre le crime organisé, comme ils auront reconnu en Adnan Barrera, son meilleur ennemi, le double d'El Chapo, véritable bandit mexicain. Depuis le Centre de Détention Fédéral de San Diego en Californie, Barrera a promis deux millions de dollars à celui qui lui apporterait le scalp d'Art Keller dans sa cellule. Ce terrible moissonneur de l'enfer, un petit bonhomme "au visage d'adolescent", a réussi à unifier les cartels de la drogue avec l'aide involontaire d'Art Keller, agent de la DEA.
"La Griffe du chien", roman "embarqué" comme on le dit des grands reporters admis au sein des unités militaires pour être les témoins privilégiés des conflits en cours, est une fiction monument traversée par la foudre, noyée dans le sang des milliers de victimes de la guerre contre les "narcos". L'invention n'est qu'une affaire de rythme et Don Winslow, avec une langue sèche excluant toute effusion lyrique, donne un tempo magistral à "Cartel", nouvelle immersion en apnée dans les abysses de notre histoire contemporaine.
Utilisé comme appât par la DEA, le retraité Keller est contraint d'abandonner ses abeilles pour reprendre son combat contre Barrera qui s'est échappé. Mais le combat change de nature en permanence. L'hydre se régénère, inversant les alliances, infiltrant les ruelles de Barcelone et les âmes damnées du terrorisme.
"On dit que l'amour est plus fort que tout.
C'est faux, songe Keller.
La haine est plus forte que tout.
Plus forte même que la haine."
Magnifique saison en enfer.
Cartel – Don Winslow – Traduit de l'américain par Jean Esch – Seuil – 718 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 décembre 2016