Délocalisation d'un chaos très libéral où même la guerre se privatise, l'Afghanistan reste le cœur irradié du cycle romanesque imaginé par DOA. Surtout la guerre, devrait-on dire, quand on a vu à l'œuvre en Irak les VRP du lobby militaro-industriel reconvertir les officiers en patron de PME sécuritaire, comme cette 6N, Six Nations, société privée sous contrat avec la CIA que l'auteur a calquée sur les officines existantes.
Pukhtu secundo remet donc en mouvement une galaxie de personnages dans laquelle le lecteur ne se sent jamais perdu. On les voit se coaliser, se trahir, se venger, parfois s'illusionner sur leurs sentiments amoureux.
Des salons parisiens où s'agitent Amel Balhimer la journaliste, les hommes de l'ombre et les femmes de paille, aux étendues minérales et glacées dans lesquelles se déchirent les tribus pachtounes et Sher Ali, le Roi Lion, sur fond de trafic de drogue et de de haine de l'Occident, DOA n'oublie jamais de donner une présence et une puissance romanesque à chacun des seconds rôles. Dès les premiers chapitres, Ghost, paramilitaire de 6N, victime d'une opération qui a mal tourné est un exemple de ce casting cinq étoiles.
Dans le flux incessant des actions clandestines chorégraphiées avec brio, persiste un fil conducteur qui nous mène à Fox. Clandestin parmi les clandestins, Fox est une collection d'identités trompeuses. Agent de la CIA, membre d'un groupe infiltré au Pakistan, ancien officier français arabophone, il est désormais la cible convoitée de la DGSE.
Assez comparable à l'obsession californienne d'Ellroy, cette cathédrale littéraire dédiée aux agents d'un monde secret nous donne les clés d'un réel manipulé, effrayant et dangereux.
Pukhtu secundo – DOA – Série noire Gallimard – 680 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 11 décembre 2016