Un homme heurte un tramway en scooter, une femme meurt d'overdose, trafic de drogue, trafic d'armes, flic, alcool, brouillard dans les esprits et âmes damnées par la canicule, l'ADN du polar se nourrit du foisonnement des signes qu'Alexandre Kauffmann infuse dans son œuvre. "Je suis un roman noir" d'ADG rassemblait la somme des clichés nécessaires à ce patrimoine génétique comme "Stupéfiants" annonce la couleur, mais à la façon trompeuse d'un scintillement sur une pierre de lune aux reflets d'arc-en-ciel.
Le narrateur est un journaliste nonchalant réveillé en sursaut dans sa retraite parisienne par un appel de la police. On a trouvé ses coordonnées dans le répertoire téléphonique d'un homme dont le scooter s'est fracassé contre un tramway. Le mort est un Massaï, et le journaliste a passé deux ans en Tanzanie pour un reportage sur la confiscation des terres massaï. Le reporter est connu des services de police. Une quantité de petits délits témoignent de son tempérament de baroudeur.
Alexandre Kauffmann, tout en ne négligeant rien d'une intrigue sur les sombres trafics entre Paris et Arusha, raconte en biais les nouvelles tribus qui opèrent sans éclat la transformation de la société française. Autoproclamées "«Club chômage» au nom d'un mépris aristocratique pour la réussite sociale, (…) Leurs parents, issus de milieux plutôt modestes, ont profité des Trente Glorieuses." "Stupéfiants" s'entend ainsi à double sens: marchandise de mort et effets secondaires d'une éducation héritée des baby-boomers. Par petites touches, voilà sans doute le portrait sans acrimonie d'une génération condamnée à suivre "la feuille de route".
Stupéfiants – Alexandre Kauffmann – Flammarion – 304 pages – 19€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 janvier 2017