C'est peut-être parce qu'il a souvent navigué là où on ne l'attendait pas que Peter May disparait parfois des radars. Écossais, planqué dans le Lot, auteur d'une série "chinoise" de romans policiers passionnants, un temps scénariste prolifique en Grande-Bretagne, on l'a surtout adoubé en France pour sa trilogie écossaise: "L'île des chasseurs d'oiseaux", "L'Homme de Lewis" et "Le Braconnier du lac perdu", tous publiés aux éditions du Rouergue et primés à juste titre.
Et voilà que la moisson des prix d'automne le rappelle une nouvelle fois sur l'estrade avec le "Trophée 813" du roman étranger pour "L'île du serment" (c'est Hervé LeCorre qui rafle celui du roman francophone avec "Après la Guerre"). Souhaitons que cette dernière récompense permette aux projecteurs de se braquer sur l'un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire: "Les Fugueurs de Glasgow". Roman noir, parce que pour paraphraser Hervé LeCorre, il n'est de bons romans que conformes à "la noirceur des temps". Ajoutons pour être complet que cette couleur du temps doit moins aux humeurs du ciel qu'à la palette des hommes.
Cette magnifique histoire que nous raconte Peter May emprunte à sa troublante jeunesse le souvenir des poussières de Glasgow, les années soixante, le baby-boom, la surchauffe économique, les radios pirates en Mer du Nord, et pour le personnage de Jack, enfant des classes moyennes, le fardeau existentiel de l'ancien monde pulvérisé dans les premiers accords de "Love me do". Quand le lecteur ouvre le livre, on est en 2015 et Jack a 67 ans. Il vit dans une résidence services, entouré d'une famille impatiente de récupérer l'héritage.
Un infarctus l'a fragilisé et une scène très édifiante permet de comprendre ce qu'est devenu "le sens de la famille": une corvée.
L'assassinat d'un homme à Londres va contraindre Jack et les vieux amis qui lui restent à reprendre la route. La victime était en cavale depuis 1965, année où on l'a soupçonnée d'avoir matraqué à mort un homme à l'occasion d'une fête "fournie en drogues".
Maurie, avocat en phase terminale, Dave, l'alcoolique et Jack au cœur fragile, ne partent pas en pèlerinage. Elucider cette mort, c'est brasser les ombres, rameuter les fantômes, caresser dangereusement le crépuscule pour tenter une dernière percée au-dessus des nuages. Jack embarque de force son petit fils obèse comme chauffeur. Les voilà pareils aux adolescents de 1965, convaincus d'en découdre avec la scène londonienne dans le sillage des Beatles.
Mais cette deuxième fugue est un rappel de pas perdus, elle retrouve la cadence des premiers vertiges amoureux, les vieux prédateurs de l'époque aux poches pleines de poudre de perlimpinpin. Peter May ne fait pas le bilan, il raconte avec une simplicité et une sincérité bouleversante le roman d'une initiation réussie entre un grand-père et son petit fils, et la dissolution des rêves à l'épreuve du réel.
Les fugueurs de Glasgow – Peter May – Traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue – Rouergue – 432 pages – 23€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 11 octobre 2015