Sur le site d'Actes Sud, son éditeur, Nicolas Mathieu présente le roman noir comme "un roman populaire pour le peuple". Il y a bien longtemps qu'on ne parle plus de littérature populaire à propos du roman noir, enjeu des grands débats où l'on invite les universitaires et où le peuple s'est fait la malle. Si déjà on arrive à se mettre d'accord sur le contenu qu'on donne au mot "peuple", on découvrira sans surprise qu'il embrasse l'ensemble des personnages du roman de Nicolas Mathieu: ouvriers, employés, petits cadres. Ils partagent le destin des régions sacrifiées, le Nord du dernier roman de Pascal Dessaint, l'Est et la région des Vosges, autant de territoires au sein desquels le peuple est un fardeau inutile et dangereux.
"Aux animaux la guerre" réussit le projet que l'auteur s'est assigné. C'est un polar sans effusion idéologique. Même élevés en batterie, les prolétaires ne sont plus rentables face aux mille vaches à la mode chinoise ou roumaine. Mais conformément au cadre narratif, ce sont avant tout des personnages, héritiers de violences plus anciennes que les brutalités du monde du travail, broyés par le déterminisme social, ou préparant pour certains des régressions vers la réalité primitive de notre humanité, comme Martel, ce héros perdu de la classe ouvrière, devenant peu à peu "un grand singe avec des clés de bagnole", selon la formule de Daniel Depp. Un très grand roman populaire.
Aux animaux la guerre – Nicolas Mathieu – Actes Sud – 368 pages – 22,50€ - ****
Lionel Germain