Il y a peu sur les ondes de France-Info, Michel Serres évoquait la grâce qui l'emportait selon lui sur le crime, accordant à l'humanité l'espoir d'une rédemption à un moment où la nuit l'emporterait plutôt sur le jour, et l'égoïsme des nations sur l'idéal européen. Et c'est un petit livre, que les libraires de chez Mollat à Bordeaux avaient justement repéré dans leur sélection d'octobre, qui nous ramène à ce mystère.
Acteur et scénariste à Berlin, Robert Seethaler remet en scène la Vienne de l'Anschluss. Pour nous raconter le vertige destructeur qui s'empare de l'indolence autrichienne, il imagine la rencontre improbable entre un jeune provincial venu chercher du travail auprès d'un buraliste unijambiste et l'un de ses plus fameux clients, le docteur Freud.
Roman d'apprentissage, le jeune Franz assumant la séparation avec une mère aimante et découvrant à son tour le trouble auprès d'une jeune fille de Bohème, "Le tabac Tresniek" laisse deviner la montée des périls sans jamais se départir de cette innocence. Et si la Grâce devait l'emporter sur le Crime, elle se résumerait aux messages oniriques abandonnés chaque matin par Franz sur la vitrine de sa boutique. "Les croix gammées lancent des éclairs et la fille" sur "la Grande roue" qui écrase tout "crie hurrah, sa robe est légère et blanche comme un lambeau de nuage."
Quand la longue nuit prendra fin, à Vienne comme ailleurs, il restera les livres du vieux docteur, le journal d'une enfant, quelques rêves arrachés au cauchemar, comme un rayon de soleil sur la paille d'un cachot.
Le tabac Tresniek - Robert Seethaler - Traduit de l'allemand par Elisabeth Landes - Sabine Wespieser - 250 pages - 21€ - ***
Lionel Germain