Depuis une dizaine d'années, Pascal Dessaint insère la critique sociale dans une interrogation plus large sur les dérives environnementales. "Le Bal des frelons", "Maintenant, le mal est fait", "Cruelles natures", autant de romans où la hiérarchie traditionnelle des personnages s'efface au profit d'un rapport compliqué de chacun avec la nature. Roman choral comme ce dernier dans lequel les hommes et les femmes sont des ombres épuisées par la voracité muette de cette région du Nord.
Michel, célibataire depuis le départ de sa compagne, élève seul le fils de sa sœur fauchée par un camion. Il éprouve une part de culpabilité dans la mort de celle-ci. Tandis que le fantôme de l'industrie lourde se glisse dans les vapeurs des usines chimiques qui ont pris la place, il trompe l'ennui en surveillant l'entrée des minéraliers géants. Un peu plus loin, à cinquante ans, Jérôme survit avec une mère impotente dans une maison grignotée par les dunes.
L'amertume est comme une atmosphère qui coiffe le paysage. Les vraquiers dérivent sur un horizon sans profondeur et le nouveau canal n'est qu'un trompe misère destiné à pomper l'énergie des survivants évincés des chantiers navals ou de l'usine de plastique. Cyril qui travaillait dans la raffinerie de pétrole avant d'être licencié, campe de façon sauvage en zone industrielle avec sa fille Mona qui assure l'ordinaire comme vendeuse. Un vilain secret les maintient dans une dépendance malsaine. Gilles, battu par son père, est obsédé par l'idée de chasser le phoque. Louis, le neveu de Michel, rêve d'un faucon dans les haubans. Wilfried est un méchant ordinaire, pêcheur de limande et violeur occasionnel. Sa femme Josiane se rêve nageuse de compétition mais s'enfonce dans la graisse d'une maman obèse mère de trois gros garçons aux prénoms de champions.
L'humeur cafardeuse qui anime tous ces personnages les unit pour le pire dans un scénario criminel où l'ignorance le dispute à la perversité. La nuit les submerge et la disparition des liens sociaux les renvoie à un tribalisme cruel.
Si Dieu semble avoir abandonné le ciel du Nord, il reste en écho à cette humanité privée de transcendance l'âme lointaine d'une nature sauvage, le vol d'un grand faucon, la silhouette d'un phoque ou un mirage de pingouins. Pascal Dessaint contemple la beauté paradoxale des lumières toxiques sur la lande et poursuit sa mission de scribe du désenchantement.
Le chemin s'arrêtera là – Pascal Dessaint – Rivages – 240 pages – 18€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 février 2015