Rien n'est jamais sûr. Dans un recoin déjà poussiéreux de la mémoire collective, Fernand Legros était un escroc. Il alimenta les gazettes du monde de l'art et la rubrique des faits divers en écoulant des Dufy ou des Modigliani qu'il réussissait à faire certifier par les douanes américaines. Ce malfrat mythomane occupe peut-être l'avant-scène dans l'intrigue imaginée par Louis Sanders mais le faussaire, c'est l'écrivain. Fernand Legros est mort en 1983 d'un cancer alors qu'un pic à glace a plongé dix-sept fois dans le corps de M. Fernand en 1979.
On cherche le colonel Moutarde, les indices et le flic astucieux. Et c'est Pigalle qui s'offre à la fin des années soixante-dix. Monsieur Fernand traverse son royaume dans sa Roll's Silver Shadow, "un tunnel de néons" sur les parois duquel clignotent la fièvre du quartier, un emballement de sueur, de sexe un peu triste, de mélodies de 4 sous. De la rue des Martyrs au rond-point de la place Clichy, l'ancienne prostituée, le peintre dans la débine, la Bovary du faubourg, tout le monde brasse l'air d'une modernité déjà rance et se perd dans les rets d'un pervers narcissique.
Étourdi par le souvenir de sa propre splendeur, Monsieur Fernand est programmé pour la chute. C'est cette réinvention du monde qui intéresse notre faussaire, l'écrivain Louis Sanders. Rien n'est jamais sûr. Sauf la comptabilité macabre. Dix-sept coups de pic à glace. Le prix d'un effacement.
La Chute de M. Fernand – Louis Sanders – Seuil – 240 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 16 février 2014