Boxeur s'administrant la punition, colosse aux pieds d'argile, femme boulimique perdue dans un concours de beauté, ploucs moches et méchants, les personnages d'Harry Crews ont tous quelque chose de démesuré qui nous renvoie l'image d'un monde en perdition. Dans ce roman écrit à la fin des années soixante, on trouve la quintessence de cette exubérance féroce avec laquelle l'auteur disparu en 2012 a fécondé toute son œuvre.
Sur une terre épuisée par l'exploitation minière ne reste qu'une douzaine de familles unies autour de Fat Man, un obèse de 300 kilos pour 1m65, montagne de graisse impotente, épaulée par Jester, hypothétique jockey d'un mètre vingt deux pour 45 kilos. Tous ces cabossés de l'Amérique profonde s'accrochent à la chimère infusée par Fat Man, propriétaire des lieux après un subterfuge de l'exploitant parti avec ses pelleteuses sans espoir de retour.
Le tas de sable ne produit plus que des taxes foncières mais il est pourtant convoité par Dolly, une ex-reine de beauté. Elle défie l'espoir d'un "revival" industriel en installant ses télescopes sur les collines pour permettre aux touristes de contempler les monstres de son "parc".
Et tandis que Jester ne monte plus qu'un cheval à bascule pour un public de voyeurs, que Dolly prépare l'avenir, celui d'un monde affairé au spectacle de sa propre mort, Fat Man, baudruche affamée qui enfle au sommet de la colline, réserve au lecteur un final absolument grandiose.
Nu dans le jardin d'Éden – Harry Crews – Traduit de l'américain par Patrick Raynal – Sonatine – 236 pages – 19€ - ****
Lionel Germain