Mood Indigo avec Teresa Brewer en 1973, un velouté de sourdines avec le vibrato singulier d'une chanteuse à l'opposé du trait mélancolique d'Ella Fitzgerald posant son souffle dans in a sentimental mood, petite musique de ring pour éclairer de sa lumière artificielle le monde réinventé d'Incardona. Quelque part ici tout près de chez nous, avec des bars, des dunes, une rocade sur le fleuve, des embruns sur la peau, maintenant, vraisemblable et rêvé comme un collage de vieux clichés sépias.
Joseph Incardona convoque ses sources et elles charrient les sédiments d'un long voyage dans la littérature américaine. Il ne copie pas Djian, il est sur la même route.
Dans une dimension parallèle, Matteo Greco est un chanteur italien pour midinette. Le versant suisse d'Incardona n'ignore sans doute pas l'inconséquence d'une telle homonymie. Son Matteo n'est pas chanteur mais vigile-boxeur-écrivain. Il veille sur les parkings, boxe dans le vide et pianote sur sa Remington. Matteo prétend n'avoir pas les moyens de s'offrir un PC. Il est d'une modernité contrainte, là où Joseph Incardona démontre la sienne en rongeant son texte jusqu'à l'os. Il a lu F.X Toole avant que Clint Eastwood ne s'empare de la Fille à un million de dollars.
Dans Adrénaline, une nouvelle publiée en 2003 chez Delphine Montalant, il décrivait la rage d'un boxeur déclinant. Matteo boxe dans le vide mais il a du punch, il veille sur les parkings mais une vieille comtesse italienne le prendrait bien comme gigolo, il épuise sa Remington mais trafique le manuscrit de sa collègue d'atelier d'écriture et le transforme en best-seller. Remington. La machine à écrire devient machine à tuer.
Incardona ne porte aucun jugement sur le système de prédation absurde qui pourrait bien broyer son personnage. Quand on referme ce livre, on se sent au bord du ring, les yeux blessés par des néons désespérants, incapable de donner un sens à la brutalité des hommes. Et pourtant incroyablement heureux.
Remington - Joseph Incardona - Fayard noir - 315 pages - 19 euros - *** -
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 27 décembre 2008