Pause hémoglobine
avec Jeanne Faivre-d'Arcier, Marc Behm, Philippe Setbon et Thierry Jonquet.
Il suffit de jeter un œil sur les programmes de la télévision ou sur les étagères réservées aux adolescents dans les librairies pour comprendre l'apparente facétie de Thierry Jonquet s'amusant à sonder le cœur exsangue des vampires. Sans le céder d'un pouce à la frivolité du temps, il confie à la fable le devoir d'explorer de nouvelles pistes et de transformer les prédateurs terrifiants du mythe original en victimes d'une malédiction bien contemporaine: l'exclusion et le rejet des différences.
Marc Behm s'y est essayé dans les années 80 avec son roman la Vierge de glace tout comme, plus récemment, Philippe Setbon dont la savoureuse histoire de petite "vampire" riche séquestrée par des truands en manque de "veine" n'est qu'une des strates de son "Apocalypse selon Fred" (Buchet-Chastel). Thierry Jonquet nous désigne d'emblée l'origine du mal, ces banlieues de l'Europe qui harcèlent les lumières du centre. Quoi de mieux pour exacerber les inquiétudes des nations fortunées que ces cohortes d'immigrés roumains venus se partager les miettes d'un festin illusoire? Quand l'un d'eux découvre un cadavre empalé façon moldave, c'est le top départ d'une enquête au cœur de Belleville où se planquent les Radescu.
Dans
les années trente, ce dédale parisien abritait une véritable cour des miracles
baignée des sonorités les plus cosmopolites. Artisans fourreurs ou casquettiers
aux noms évocateurs, les Bornstein, les Schmulevitz, tous débarqués dans
l'urgence d'échapper aux ghettos polonais de l'entre-deux guerre. Tous effacés
du cadastre au matin du 16 juillet 1942 quand la fureur nazie avait pris le
visage rassurant de la police parisienne.
Le
seul témoin du drame encore vivant s'appelle Alexandre. Il est le cordonnier
qui a vu le retour en 1949 de cette étrange tribu au teint si pâle et aux longs
habits sombres. Une bande de Gitans faméliques l'a aidée à poser ses bagages au
fond de cette courette à présent désertée. Les Radescu n'ont pas bonne mine et
ça ne date pas d'hier. Le patriarche va tout faire pour échapper à cette
malédiction qui le condamne, lui et sa famille, à une éternité exigeante en
hémoglobine. Comme personne ne croit aux vampires, c'est de la science qu'il va
solliciter une réponse. Le mal des vampires n'est-il pas à l'opposé de celui,
bien réel, qui consiste à vieillir en accéléré? Bannissant l'eau bénite et les
crucifix, c'est donc l'ADN du monstre que Thierry Jonquet interroge dans ce
roman inachevé, hélas, mais plein de cet humour noir qui nous avait
enthousiasmés dans "Le bal des débris".
Vampires – Thierry Jonquet –
Seuil – 185 pages – 18€ – Point Seuil – 6,50€ - **
MAUVAIS
SANG
Si dans le roman de Thierry Jonquet, le vampirisme était envisagé comme le contraire de la progéria, cette maladie du vieillissement accéléré, le dernier vampire de Jeanne Faivre d'Arcier est lui menacé par les multiples contaminations du sang humain moderne. Victime de la Terreur révolutionnaire, ce Girondin contrarié a traversé les siècles pour échouer sur le fantasme de sa première conquête, le capitaine Christine Deroche. Une immersion très érudite au cœur de la Révolution.
Le dernier vampire – Jeanne Faivre-d'Arcier – Bragelonne – 381 pages – 20€ - **
Lionel Germain