Scénariste pour le cinéma et la télévision (on lui doit le scénario et la réalisation de "Bluebird", adapté du roman de Dannie M. Martin, "L'Homme de plonge"), Jérémie Guez est aussi un auteur de polars distingué à deux reprises, d'abord pour "Balancé dans les cordes" par le Prix du polar SNCF en 2013, et par celui du roman historique en 2014 pour "Le Dernier Tigre rouge".
Dans "L'équilibre des corps", les valeurs qui caractérisent cette évocation des années 70 nous semblent effacées des bases de données contemporaines. À une époque où l'incertitude et l'angoisse du lendemain justifient les bouquets de dystopies au rayon noir des librairies, l'auteur réinstalle le logiciel du bonheur ouvrier et évacue le parfum de désastre à la mode au détour d'un simple échange amoureux: "il crut sentir dans ses cheveux une odeur de cendre mouillée, celle d'un petit matin après la fin du monde".
L'histoire commence en banlieue parisienne. Une famille italienne se rassemble autour de la figure patriarcale de Marcelo, ouvrier couvreur marié à Cécilia et père de la petite Chiara. Quand Marcelo ramène un jour à la maison un jeune orphelin sans abri, la bonne humeur et l'entente familiale se fissurent en deux clans: les hommes d'un côté, les femmes de l'autre.
L'hostilité de la mère est dirigée contre ce fils qui n'est pas d'elle, et Chiara n'épargne pas non plus ce "frère" avec lequel elle va pourtant partager beaucoup de choses. Mais à travers cette affaire de famille, récit d'une transmission d'un savoir-faire et d'une culture identitaire, c'est le portrait d'une classe ouvrière sommée de choisir entre le désir de rupture et celui de pérenniser l'héritage.
Si Marcelo disparait, le monde après lui sera moins généreux. En ouvrant l'armoire où reposent les souvenirs du siècle dernier, Jérémie Guez restaure avec talent l'idée que la puissance romanesque de ces valeurs est sans doute l'antidote aux dystopies qui nous accablent.
L'équilibre des corps - Jérémie Guez – Seuil – 330 pages – 21€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain