Publié d’abord sous forme digitale en Pologne puis en Grande-Bretagne, ce livre a inspiré deux séries Netflix, en Belgique et en Turquie, avant de paraître en France cet automne. Récompensé par de nombreux prix, dont le European Science-Fiction Award, l’auteur a été l’invité du Festival des Utopiales à Nantes du 30 octobre au 3 novembre.
Jacek Dukaj, né en 1974, est considéré comme le plus populaire des auteurs de SF polonais et le successeur de Stanislaw Lem. Auteur de romans et d’essais, il a aussi traduit dans sa langue le livre de Joseph Conrad "Au cœur des ténèbres" (qui a inspiré "Apocalypse now" à Francis Ford Coppola). Juste retour des choses, Conrad, qui écrivait en anglais, était d’origine polonaise.
"La Vieillesse de l’axolotl" commence aussi par une Apocalypse, même si le terme est souvent remplacé dans le livre par celui d’"Extermination". Une onde de radiation neutronique probablement issue d’une éruption solaire atypique, mortelle pour la matière organique, se déplace vers l’ouest, au fur et à mesure de la rotation de la Terre autour de son axe, couvrant toujours l’un des hémisphères du globe.
Les survivants échappent à la catastrophe en fuyant à bord d’avions de ligne volant en permanence dans la zone où il fait nuit, ou bien à bord d’un sous-marin, et quelques-uns cherchent refuge, le temps d’un hiver, sur la calotte polaire.
C’est le thème des deux séries Netflix: la série belge "Into the night", deux saisons de 6 épisodes chacune (2020), et la série turque qui lui fait suite "Yakamoz S-245", une saison de 7 épisodes mise en ligne depuis 2022.
Les séries se présentent comme l’adaptation du roman de Dukaj, mais en fait mis à part le début du livre qui évoque directement la catastrophe avec l’alerte clignotant sur les écrans: "EXTERMINATION?! ONDE NEUTRONIQUE À VARSOVIE À 19 H 54", quelques notes éparses au fil des pages, et, de temps en temps, les histoires que se racontent les posthumains pour s’amuser car ils pensent que l’homme est une légende, le roman parle de tout autre chose.
Il y a effectivement eu une catastrophe, mais toute vie organique ayant disparu de la surface de la Terre, celle-ci n’est maintenant peuplée que de robots et de méchas, qui sont souvent des humains dont la conscience a été digitalisée juste avant la catastrophe. Privés de leurs corps, ils continuent d’exister en se téléchargeant sur des robots industriels, des drones militaires, des sexbots ou autres avatars inspirés des mangas japonais. L’univers dans lequel se déploie le roman de Dukaj est beaucoup plus proche de celui des "Transformers" que des deux thrillers d’anticipation belge et turc que diffuse Netflix.
Le renversement des vieilles oppositions entre la vie et la mort, le progrès et la stagnation, l’organique et le mécanique, l’exploration des mystères de l’âme humaine et l’éternelle solitude de l’individu, tout cela est abordé dans un environnement et par des personnages que nous avons l’habitude de voir évoluer plus familièrement dans l’univers des mangas destinés aux adolescents.
Ce qui renforce le caractère étrange, déroutant de ce livre, avec sa composition graphique très particulière, le texte est imprimé sur les pages de droite, le verso est réservé à un dessin, un schéma, des ex-libris ou des emblèmes, ou la plupart du temps simplement la page est blanche, – un cahier central en couleurs étant réservé aux illustrations hors-texte de Marcin Panasiuk du studio Platige Image.
Et l’axolotl dans tout ça? Cette bestiole, une salamandre néoténique qui conserve ses caractéristiques juvéniles en devenant adulte, est une sorte d’icône de la culture contemporaine, de Julio Cortázar à Bernard Werber, de "Pokémon" à "One Piece" ou au jeu "Minecraft", du rap à l’astrophysique, avec l’étoile HD 224693 récemment nommée "Axolotl" etc. En vrai l’axolotl ne devient jamais adulte, et donc ne peut pas vieillir.
"Il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adulte", chantait Brel. Et les méchas de Dukaj, quand ils philosophent sur l’homme, se retrouvent presque avec René Daumal qui écrivait dans "La Grande beuverie" en 1966:
"Outre l'homme, il existe un autre animal qui, dans les conditions naturelles, n'arrive jamais à l'état adulte et qui, pourtant, se reproduit régulièrement. Il s'est accommodé de son état embryonnaire et n'a pas plus que l'homme le désir d'en sortir. C'est la larve d'une espèce de salamandre que l'on trouve dans des mares et des étangs du Mexique et que nous nommons, d'après un mot du pays, axolotl".
La Vieillesse de l’axolotl – Jacek Dukaj – Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez – Rivages/Imaginaire – 329 pages – 22,50 € - ***
François Rahier
François Rahier