En 1946, "l'Indo" est le paradis auquel aspirent tous les aventuriers, les soldats perdus du Troisième Reich comme certains résistants, effrayés par la paix promise à l'Europe. Leur vraie patrie, c'est la légion, un creuset de nationalités disparates où se forge une identité collective. Le Français Charles Bareuil partage cet honneur aux côtés des frères d'armes venus du monde entier même si c'est pour lui la chronique d'un désastre assumé, d'une défaite plus intime initiée dans les plaines de Serbie où il a perdu sa femme.
Dès le prologue, Jérémie Guez nous laisse entr'apercevoir le point de vue occulté de cette guerre, celui du peuple vietnamien convaincu de mener un combat de libération nationale. En face, justement, un autre Français semble avoir choisi son camp au prix d'une trahison que Charles Bareuil aimerait comprendre. C'est un sniper dont il faut retrouver la trace.
Jeune auteur dont le roman "Balancé dans les cordes" a obtenu le prix SNCF du polar en 2013, Jérémie Guez n'hésite pas à quitter les sentiers balisés de ses premiers succès pour la moiteur vénéneuse d'une jungle célébrée en son temps par Pierre Schoendoerffer avec sa "317ème section". On y retrouve les joies et les angoisses de ces soldats malmenés par un commandement approximatif et condamnés après des mois de souffrances à l'humiliation des camps de prisonniers.
Au-delà des idéologies menaçantes, c'est la rencontre impossible entre deux hommes portés par des espérances contraires: le dernier tigre rouge, déserteur de l'armée coloniale au profit du Vietminh, et Bareuil, tireur d'élite solidaire de ses camarades de combat. Un polar historique qui restitue la vérité troublante des personnages.
Le dernier tigre rouge – Jérémie Guez – 10/18 – 236 pages – 8,80€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 17 août 2014