L'impression parfois que James Lee Burke en fait trop. Il a rangé provisoirement Dave Robicheaux, un héros magnifique, usé, parti de rien et revenu de tout, mais le personnage auquel il consacre une autre série, Aaron Holland Broussard, est lui aussi chargé comme une mule. Vétéran de Corée, romancier voyageur, malade mental victime de blackouts qui le "délocalisent", Aaron partage avec Dave une foi que le réel s'acharne à désacraliser.
Le voilà dans le Colorado après avoir sauté d'un wagon à bestiaux. Le voilà amoureux d'une étudiante artiste. Mais le voilà surtout entre deux corvées à la ferme, face aux méchants qui tiennent le monde et le haut du pavé à Trinidad.
"Je n'avais jamais aimé le sommeil. Il me conduisait dans trop de mauvais endroits. Tard le soir, mes parents se disputaient quand mon père rentrait du bar (…). Leurs mots étaient assourdis, comme des tessons de colère dans une flaque d'eau noire, coulant puis émergeant de nouveau."
Chemineau sur son chemin de croix, le héros semble rêver ses escales entre deux "blackouts", mais malgré sa plume éreintée par le roulis des rails, malgré la longueur du voyage et la nuit qui se profile à l'horizon, la poésie de Burke conserve un pouvoir hypnotique.
Un autre Éden - James Lee Burke – Traduit de l'américain par Christophe Mercier – Rivages – 272 pages – 22€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain