Quand il découvre ce parachutiste américain, mort ou presque, au tout début du roman, le jeune narrateur n’a rien du Rimbaud du "Dormeur du val". Y aurait-il encore ici un trou de verdure que baigne une rivière, au milieu de cette ville d’Europe centrale noyée dans la cendre, sous ce ciel plombé de nuages toxiques que sillonne en permanence le vol infernal des B52? Une guerre nucléaire a opposé Russie et États-Unis, les combats continuent entre bandes errantes, sans feu ni lieu. Des mutants irradiés, pitoyables, sont confinés dans une "Zone rouge", on entasse les morts pour former des murailles.
Hier encore, déjà demain? Le temps s’est arrêté, comme englué lui aussi dans les miasmes d’un monde qui se délite… La voix si particulière du garçon, empruntant à la morgue adolescente de L’attrape-cœurs de Salinger comme à la gouaille des jeunes héros de Mark Twain, rend plus déroutant encore ce récit d’initiation à l’envers, un voyage au bout d’une nuit dont on pressent qu’il sera sans aurore.
Raconter la guerre ne peut pas être plaisant, pense l’auteur, pour qui la vérité se situerait plutôt dans une sorte d’allégeance désespérée à l’obscénité et au mal. Né en 1977 dans le sud de la Hongrie, Benedek Tòtth a publié deux romans là-bas, et traduit Bret Easton Ellis, Cormac McCarthy et Aldous Huxley. Une voix sans concession venue de l’est, avec laquelle on devra compter, sans doute.
La Guerre après la dernière guerre - par Benedek Tòtth - Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba - Actes sud - 198 pages – 21,50€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 3 novembre 2019
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