Le lieutenant Benlazar est le fils d'un combattant de l'ALN (Armée de Libération Nationale) réfugié en France après les luttes clandestines de la toute nouvelle république algérienne indépendante. Élevé dans le seul rappel de sa langue, et devenu officier de la DGSE, le voilà replongé dans l'univers de ses origines en 1992 pour contribuer à la lutte anti-terroriste.
L'Algérie est alors confrontée à une flambée islamiste provoquée par le déni démocratique de décembre 1991, date à laquelle l'armée met fin au processus électoral favorable au FIS (Front Islamique du Salut). Une collaboration avec la terrifiante DRS, la police secrète du régime, conduit Benlazar à Aïn M'Guel, un camp de concentration quelque part dans le désert où sont "interrogés" les suspects.
L'une des grandes qualités de Frédéric Paulin consiste à maîtriser cette chronologie de la terreur à la manière dont Ellroy a démasqué la fiction radieuse de Los Angeles. Les acteurs du drame ne sont pas les donneurs d'ordre mais les artisans obscurs du chaos, agents secrets, victimes retournées du totalitarisme algérien, petits fonctionnaires du renseignement.
Et là, c'est le personnage de Benlazar qui donne de la chair au substrat historique. Héros tragique, bordé de linceuls que le roman national a parfois transformés en étendard, il est la clé secrète d'un drame dont les étapes constitutives se nouent entre les deux rives de la Méditerranée. Arabe et Français au moment où les traditions s'affrontent pour solder les mauvais comptes du terrorisme, il est sans doute aussi l'otage d'une magnifique leçon d'histoire.
La guerre est une ruse – Frédéric Paulin – Agullo – 384 pages – 22€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018Lire aussi dans Sud-Ouest