En littérature, les bons sentiments ont la réputation de garantir le naufrage. Pour éviter l'écueil, la famille Mabille-Pons du dernier roman de Marin Ledun s'est offert une porteuse de parole capable de disserter sur Sophocle ou Pétrarque. Elle s'appelle Rose, s'habille en noir, préfère les Fleurs du Mal de Baudelaire à la poésie de Proust et officie comme responsable culturelle d'un salon de coiffure, le Popul-Hair. Si elle n'apprécie guère Freud et Lacan, elle s'arrime à sa "tribu" avec la même intensité que sa mère Adélaïde, une infirmière en lutte permanente.
Autour du père, clerc de notaire en échec professionnel, gravitent les autres enfants, une fille et quatre garçons, dont Gus, adopté dans un orphelinat en Colombie. Plus bronzé que la moyenne de ses camarades, Gus a le profil idéal du "bouc émissaire" dans les embrouilles du collège, voire du coupable, notamment à l'occasion du braquage d'un bureau de tabac dont le propriétaire se retrouve dans le coma.
Marin Ledun ne s'amuse qu'en apparence. Il nous entraîne avec le sourire à partager sa déconvenue d'un genre littéraire où le héros n'a pour ambition que de dénicher l'auteur d'un crime. Même si depuis belle lurette, le polar s'est ébroué vers d'autres horizons, l'hommage à Pennac se double d'une cure de jouvence au Popul-Hair avec le chœur des rieuses impatientes d'écouter Rose leur déclamer les poèmes de Gérard de Nerval.
Ce qui nous ramène dans les roues de Manchette, à la ronde camusienne sur le boulevard périphérique du roman noir, au "Petit Bleu de la Côte Ouest" et à l'humour tragique de la dissidence inutile et nécessaire. Oui, Marin Ledun, "résistons par le rire, et vive la vie".
Salut à toi ô mon frère – Marin Ledun – Série noire Gallimard – 280 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018Lire aussi dans Sud-Ouest