La guerre du Vietnam a été utilisée à des fins très différentes dans le répertoire thématique du roman noir. De la dénonciation de la guerre elle-même, puis de l'indifférence coupable envers les vétérans, on est passé à l'exploitation du syndrome post-traumatique qu'on retrouve dans le polar contemporain évoquant l'Afghanistan. Le roman d'Iain Levison décrit plutôt l'instrumentalisation de l'héroïsme de guerre, un prisme magistralement travaillé par Ellroy dans "L.A.Confidential".
Chez Levison, le personnage de Bill Drake, candidat au Sénat, a obtenu 47 ans plus tôt la Purple Heart pour avoir transformé le massacre d'un buffle et d'une famille de paysans en fait d'armes contre le Viêt-Cong. Le psychopathe qui a déclenché la tuerie a obtenu pour sa part la Bronze star avant de finir en prison pour des meurtres crapuleux dans l'Iowa. Et voilà qu'au moment de faire campagne, le sergent qui dirigeait la section, aujourd'hui chef de la police d'une petite ville, est sollicité comme caution morale du futur sénateur.
Loin du foisonnement d'Ellroy, Levison n'a besoin que de 200 pages pour nous rappeler que les "bons" et les "méchants" de 39-45 ont disparu dans la tragédie impériale des années Soixante. Le bon sergent qui accepte de mentir est un pion sur l'échiquier électoral ou "progressistes" et "conservateurs" s'affrontent pour eux-mêmes avec un cynisme meurtrier. On le savait déjà. Depuis "Tribulations d'un précaire", Levison enfonce ses clous dans le cercueil d'une démocratie "qui bouge encore".
Pour services rendus – Iain Levison – Traduit de l'américain par Fanchita Gonzalez Battle – Liana Levi – 224 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 juin 2018Lire aussi dans Sud-Ouest