Dans la vraie vie, Lewis Caroll écrivait pour la jeune Alice Liddell et J. M. Barrie racontait "Peter Pan" aux enfants de l’une de ses amies. Quant à Kenneth Grahame, le moins connu des trois, c’est pour son garçon Alistair qu’il avait imaginé "Le Vent dans les saules". Ici, dans le roman, Esmeralda A. Jones a inventé "Le Pays imaginé" pour son fils Jerry.
C’était il y a des années. Le livre a fait le tour du monde et son auteur est devenu immensément célèbre. On vient même d’ouvrir un musée à sa gloire. Ruth Berry, une journaliste qui travaille pour une revue littéraire, se met en tête de retrouver le fils de l’auteur, un quinquagénaire étrangement mutique sur son enfance et qui paraît n’avoir plus de relations avec sa mère.
Et si Jerry avait vraiment trouvé la porte dans l’arbre, et que sa mère lui ait volé son enfance? Il en a peut-être été de même pour Alice, les jeunes amis de J. M. Barrie et tous les autres d’ailleurs. Au début de son enquête, Ruth ne se doute pas qu’elle va devoir elle-même franchir le passage et descendre aux enfers pour retrouver sa propre fille, et la disputer aux étranges déités qui hantent les souterrains du monde où nous vivons. Dans le dédale des stations oubliées des métros de New York ou de Londres, elle rencontrera Seth et Osiris mais aussi des savants fous et un délire steampunk de machines tout aussi folles.
Fantasy urbaine ancrée dans l’imaginaire victorien, ses orphelins et ses bas-fonds, ce roman complexe est moins une variation sur les ambiguïtés de la littérature jeunesse qu’une réflexion sur les âges de la vie, le deuil, la perte. On se souvient alors de Peter Pan: "Pourquoi est-ce qu’ils oublient le chemin? Parce qu’ils ne sont plus gais, innocents et sans cœur. Seuls ceux qui sont gais, innocents et sans cœur peuvent voler".
Sombres cités souterraines - Lisa Goldstein – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel - Les Moutons électriques – 249 pages – 19,90€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 mai 2017