Il sentait la foudre. Il sentait encore le café et le velours côtelé. Il n'est que ça. Un parfum qui hante la mémoire de Rachel, l'héroïne du dernier roman de Dennis Lehane. Sa mère Elizabeth est morte après avoir pratiqué la rétention d'une information capitale, l'identité du père masquée par ce patchwork d'indices. La collection de parfums se révèle un substitut honorable mais provisoire. Comment se résoudre à n'être que la fille d'une odeur persistante quand on est par ailleurs une journaliste ambitieuse? C'est le premier leurre que Dennis Lehane dispose sur le parcours de son personnage.
Rachel ne résiste pas à cette tension intérieure. Son aptitude professionnelle non plus. En plein reportage sur les conséquences de l'ouragan en Haïti, un tsunami émotionnel la submerge et provoque un clash à l'antenne. Son licenciement la sépare de son compagnon et lui laisse enfin le temps de flairer la bonne piste. L'homme qui sentait la foudre a bien existé. Mais ce père, barman séducteur, est mort, privant Rachel des réponses aux questions qu'elle aurait voulu lui poser, et l'abandonnant encore du "mauvais côté du miroir."
Désormais, on la reconnaît dans la rue comme la femme soûle de la télé, et le deuxième leurre se manifeste au moment où la panique la cloue chez elle. Il s'appelle Brian. Il a le visage d'un homme providentiel. Brian est d'abord le détective privé qui l'aide dans ses premières recherches, puis la voix amicale qui l'encourage à repartir en reportage, l'homme d'affaires ensuite qui la protège de ses phobies, le mari enfin qui la rassure et la délivre de ses crises de panique.
Hélas, le lecteur a lu les premières pages, ce fameux prologue par lequel l'auteur de thriller nous ferre pour les centaines de pages à venir. On a donc vu Rachel faire face à ce mari et lui tirer une balle en pleine poitrine. On a lu les confidences de sa mère sur la nature de l'homme qui "n'est jamais que la somme des histoires qu'il raconte sur lui-même, dont la plupart sont des mensonges".
C'est là que Dennis Lehane nous prend de court. Parce qu'on a encore en mémoire la saga des Coughlin ou la série des Kenzie et Genarro, le climat presque gothique de Shutter Island, la critique sociale qui affleure dans Mystic River. Ce que Rachel découvre de ce mari merveilleux assassiné en ouverture, nous ramène aux intrigues machiavéliques tramées par le Douglas Kennedy des premiers romans, à l'emprise du destin dont l'œuvre de Thomas H. Cook explore les facettes maudites.
Les remerciements en fin d'ouvrage évoquent de manière elliptique ce virage narratif et plutôt que de se condamner à une lecture déceptive de Lehane, saluons l'efficacité logistique du thriller. L'habileté du conteur est intacte. Elle maintient la cohérence autour du personnage central de Rachel. Une femme à la recherche d'un père fantôme qui hérite d'un mari mystérieux. Deux hommes, deux odeurs. De foudre et d'orage.
Après la chute – Dennis Lehane – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Rivages – 450 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 5 novembre 2017