"J'ai un passé trop lourd derrière moi, tous ces jours qui m'ont gauchi, qui m'ont totalement emmêlé l'esprit, pour être comme vous. Ce qui ne signifie pas que mon seul et unique destin soit d'être une menace pour la société." Ces mots de Bunker échappés d'"Aucune bête aussi féroce", un roman préfacé par William Styron, collent à la peau et au texte d'un autre "taulard" de la littérature découvert encore par François Guérif, Abdel Hafed Benotman.
En taule, les fleurs sont carnassières, la littérature dévorante, le temps recomposé sans cesse. Bunker pactisait avec la Fraternité aryenne, Benotman se réchauffait autour du petit chaudron des "autonomes". Bunker a passé dix-huit ans derrière les barreaux, Benotman, dix-sept. Bunker a presque réussi à faire de vieux os, Benotman avait le cœur en miettes. Il est mort en 2015, sans avoir achevé ce roman dont le narrateur est un double à peine maquillé pour la bienséance littéraire.
Les éditions Rivages l'ont complété d'un ensemble de nouvelles exfiltrées du monde carcéral et de quelques lettres adressées à François Guérif.
Le roman raconte l'histoire d'un fils d'Algérien abandonné par son père, réduit à sa "nécessité" de petit braqueur et taulard idéal dans ce monde si peu métissé de la prison. "À expulser les enfants de leurs rêves les adultes les hébergent dans leurs cauchemars", écrivait-il en exergue aux "Forcenés", son premier recueil de nouvelles. Voilà un dernier récit bordé de douleur et de chagrin mais dont le noyau resplendit d'une lumière noire.
Un jardin à la cour – Abdel Hafed Benotman – Rivages – 312 pages – 20€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 mai 2016