Procéder par étapes: soumission, sidération, insoumission, insurrection. Quand on commence le roman d'Elsa Marpeau, on est comme son héroïne, Swann, dans les limbes de la conscience de soi. Une aubaine pour les théoriciens de la fin du monde, éructant dans le giron confortable des tribunes universitaires les promesses de grand soir ou préférant manipuler en secret les excès de testostérone de leurs étudiants.
Samuel, le compagnon prof de fac de Swann voit sa part de mystère s'épaissir quand il s'effondre, assassiné d'une balle dans le dos. La jeune fille sidérée découvre que les flics ne sont pas tous dans la police. Elle découvre aussi les camarades de combat de celui qu'elle aimait, la violence radicale, le désespoir et sa transmutation en nihilisme organisé. Autant d'oxymores qui s'accommodent de l'ancien monde et d'un nouveau désordre d'où semblent cruellement absentes l'empathie et la fraternité.
Au bout de la quête de Swann et de l'enquête des services de renseignements, il y a le Styx et ses eaux sombres. Si les plus vieux des lecteurs se souviennent du lyrisme bleuté des nuits de mai, ils n'ignorent rien de la grisaille maussade des aurores. Ils voudraient prendre la main de Swann et lui dire que le mal est fait "qu'il faut tenter de vivre". Illustrant la déréliction paradoxale des foules modernes, l'auteure en a décidé autrement. Excellent prélude à un débat sur l'ultra-gauche et la "transformation" impossible du monde.
Black Blocs – Elsa Marpeau – Folio Gallimard – 320 pages – 7,90€ - ***
Lionel Germain