Le Sac de Couffignal de Dashiell Hammett raconte la mise en coupe réglée d'une ville par des émigrés russes. Ce n'est pas Sam Spade le héros mais le Continental Op, un détective chargé de surveiller les bijoux d'un mariage. La présence du texte original en page de gauche permet de comparer avec la version Omnibus de 2010.
Le sac de Couffignal – Dashiell Hammett – Traduit de l'américain par Janine Hérisson et Henri Robillot, traduction révisée, préface et notes de Natalie Beunat – Folio bilingue - 208 pages – 8,40€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 2 novembre 2014
Le 12 janvier 1961, à l'angle de Madison Avenue et de la Quatre-vingt-unième rue, la petite chapelle du salon mortuaire est pleine. Les obsèques de Dashiell Hammett réunissent Leonard Bernstein, Dorothy Parker et une poignée d'écrivains emmenés par Lillian Hellman, scénariste et auteur de théâtre à succès. Elle a vécu à ses côtés les bons et les mauvais moments, l'euphorie hollywoodienne, la dèche du maccarthysme. C'est elle qui prononce l'éloge funèbre. Elle raconte l'histoire de cet autodidacte, féru de sciences, de poésie et de littérature, capable de courir les bois pendant des journées avec un appareil auditif pour écouter le chant des oiseaux. Et elle conclut par ces mots inévitables: "c'était un type bien".
Oui, c'était un type bien. En 1951, il n'a rien lâché devant les juges de la commission qui voulaient le nom de ses copains communistes, à la fin des années trente, il s'est fortement impliqué dans la lutte contre le franquisme, à 48 ans, il s'est porté volontaire pour rejoindre les armées et participer à la lutte contre les nazis. C'était un type bien, mais sûrement pas un brave type. Véritable exercice de style, sa vie est incompréhensible sans un petit retour en arrière, sans une immersion dans l'Amérique ahurissante des années vingt.
Les soldats démobilisés découvrent le chômage, les Noirs renouent avec les discriminations que la guerre auraient dû abolir et, suprême coup de génie, le 1er janvier 1920 est promulgué le Volstead Act qui prohibe la fabrication et la vente de l'alcool sur tout le territoire des États-Unis.
A vingt ans, en 1915, Dashiell Hammett est déjà un joueur de poker et un buveur impénitent. Embauché par Pinkerton, une agence de détectives privés, il assiste au lynchage d'un "wobbly", le nom qu'on donnait aux agitateurs, dans les mines du cuivre du Montana. Il rejoint ensuite l'armée dont il ne fréquentera guère que les hôpitaux puisqu'il est déclaré définitivement inapte en 1919 pour cause de tuberculose. Sa maladie et sa rencontre avec une infirmière vont le contraindre à l'immobilité dans la ville de San-Francisco.
Entre deux quintes de toux, une bouffée et trois verres, il effectuera quelques boulots pour Pinkerton avant de comprendre, lui qui n'avait jamais cessé de lire, qu'il pouvait convertir ses rapports en nouvelles pour les pulps. Plus de 65 qu'on retrouve dans un volume copieux où se côtoient les aventures de l'Op, le privé rondouillard de la Continentale, quelques petits joyaux comme "Le paria" qui évoque la ségrégation raciale de manière très elliptique et trois enquêtes un peu paresseuses de Sam Spade, le privé mythique du Faucon de Malte.
Pour Hammett, c'est avec ce roman que débute la reconnaissance littéraire. En pleine prohibition, il noiera les années trente dans un océan d'alcool. A Hollywood où il a désormais pignon sur rue, même les libraires sont des poivrots, il se permet d'humilier Nathanël West, de se mesurer à Faulkner, on le compare à Hemingway. Foutaises. Être sobre, c'est constater la vanité du rêve américain et se retrouver nu au cœur de Poisonville au moment de la mitraille.
Coups de feu dans la nuit – Dashiell Hammett – Omnibus – 1291 pages – 29 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 30 janvier 2011