Dans cette trilogie qui n'a jamais été conçue comme
telle, Leif Davidsen, mieux peut-être qu'un essayiste, nous permet de
comprendre les ressorts intimes qui font basculer un soldat perdu des Balkans
dans une violence meurtrière. Le roman seul permet ce mouvement vers les
consciences blessées dont les idéologies sont si habiles à instrumentaliser les
haines et les vengeances. En élucidant celles du "Danois serbe", en
créant le personnage d'Aïcha, jeune danoise d'origine musulmane qui interroge les
frontières de son identité, Leif Davidsen déconstruit avec une grande humanité
les aprioris manichéens.
Lise Carlsen, une journaliste présidente du Pen-Club danois va devoir accueillir une auteure iranienne menacée de mort par les autorités religieuses. Le policier Per Toftlung, chargé de la sécurité de l’invitée, devra la protéger de Vuk Drascovic, un Serbe né au Danemark, qui a accepté le contrat, moins pour les quatre millions de dollars que pour accomplir sa vengeance contre les assassins de ses parents en Bosnie. C'est le premier volet d'une trilogie absolument pas préméditée par Leif Davidsen.
D'ailleurs le deuxième "épisode", s'il met bien en scène Per Toftlung, n'est pas une suite qui prolonge le scénario initial sur le terrorisme religieux. On est dans une affaire de filiation passionnante polarisée sur l'histoire moins récente du Danemark. Deuxième guerre mondiale, blocs de l'Est et cette guerre des Balkans qui fait ressurgir des cadavres oubliés dans les placards de la guerre froide.
Et
puis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont vu la terreur s'inviter au cœur
de leur dispositif de défense. Alors que Vuk s'échappait à la fin du Danois
serbe, Leif Davidsen a soudain eu la certitude qu'il n'avait pas disparu pour
autant. D'où l'idée de boucler le cycle avec "L'ennemi dans le
miroir". On y retrouve Vuk réfugié aux États-Unis sous une identité
secrète avec sa femme et ses enfants. Juste après l'attentat, il sera démasqué
par les services secrets américains qui lui
proposent le marché de la dernière chance: retrouver au Danemark la trace d'un
terroriste islamiste et l'éliminer. C'est la complexité du personnage de Vuk
qui est une réussite. Son désir de rédemption est tellement sincère qu'on
bascule dans son camp, malgré cette mission détestable.
A l'heure où toutes les simplifications empêchent parfois de comprendre les enjeux de cette "guerre contre le terrorisme", le roman de Leif Davidsen prend le temps de fouiller l'âme de ce soldat perdu et de dessiner un portrait de femme, Aïcha, qui permet aussi d'éviter les raccourcis trompeurs sur la culture de "l'autre".
Le
Danois serbe – Folio Gallimard – 384 pages – 8,20€ -
La
femme de Bratislava – Folio Gallimard – 585 pages – 9,10€ -
L'ennemi dans le miroir –
Leif Davidsen – traduit du danois par Monique Christiansen – Folio Gallimard –
524 pages – 8,70€ - ***
D'origine
russe, l'épouse d'un homme d'affaires danois disparaît lors d'une excursion
romantique dans son pays natal. Fin connaisseur de la Russie et des derniers
soubresauts de l'empire soviétique, Leif Davidsen, ancien journaliste dans les
pays de l'Est, a construit son œuvre autour de leurs secrets inavouables et ce
roman est un éprouvant voyage au cœur de la brutalité du monde.
L'épouse inconnue - Leif Davidsen - Gaïa - 375 pages – 21,30€ -
***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 2007