Mettant à profit le départ de presque toute la famille du jeune garçon pour des obsèques à Saint-Louis (Missouri), Boon, entiché d’une prostituée de Memphis qu’il veut épouser et arracher à son souteneur, "emprunte" la voiture du grand-père et entraîne Lucius dans l’aventure.
Sur la grand-route, ils découvrent que Ned s’est embarqué clandestinement à bord du véhicule. Les trois larrons arrivent ensemble dans ce qui est à l’époque la grande ville de la région. Pendant que Boon retrouve Miss Corrie son amoureuse et que Lucius se familiarise avec l’étrange pension de famille dans laquelle ils ont débarqué, Ned leur annonce qu’il vient de troquer la voiture contre un mauvais cheval, un tocard qui n’a jamais gagné une course mais en qui il croit bizarrement dur comme fer.
Partagé entre les sentiments qu’il sent naître en lui pour la petite amie de Boon, sa frayeur devant la spirale de "Non-Vertu" dans laquelle il s’enfonce (il désobéit, il ment, il vole…), son hébétude devant le comportement infantile de ses deux compagnons, sa passion pour les chevaux surtout, Lucius jouera en désespoir de cause le jeu imaginé par Ned, engagé comme jockey dans ce qui a toutes les apparences d’une course truquée qu’il gagnera finalement.
L’histoire est haute en couleurs, en horions et jurons, en situations cocasses ou dramatiques, on a même droit au shérif ripoux qui exigera les faveurs de Miss Corrie pour libérer Boon et Ned de la prison où il les a enfermés à un moment.
Le tout dans la prose chaotique et protéiforme de Faulkner, un torrent verbal où se mêle en une sorte d’opéra sauvage la voix du jeune Lucius et la relation qu’il fera un demi-siècle plus tard de son odyssée, la voix de Boon et celle de Ned, surgissant "au foyer du récit, [avec] ses éternels proscrits, métis et garçonnets, simples d’esprit, cultivateurs de boue, prostituées blanches et noires, tocard, mulet" (Pierre Bergounioux).
Bien peu de tout cela passe dans le film que Mark Rydell tirera du livre en 1969 ("The Reivers", distribué en France sous le titre Reivers). Le cinéma a souvent rendu hommage à Faulkner, qui travailla aussi longtemps lui-même pour Hollywood, d’un "De Gaulle" jamais tourné aux scénarios du "Port de l’angoisse" et du "Grand Sommeil" écrits pour Howard Hawks, et bien d’autres crédités ou non.
Tout est à l’avenant, les belles images d’un Sud disparu, la nostalgie du temps perdu, le triomphe des bons sentiments. Jamais la dent d’or de la petite putain noire, qui fascine tellement les protagonistes qu’autour d’elle un instant le récit hésite, s’interrompt, se fige et se reconstruit, ne vient illuminer le film.
Les Larrons - William Faulkner - Traduit de l'américain par Maurice-Edgar Coindreau et Raymond Girard - L’imaginaire/Gallimard - 408 pages - 12€ - ****