Robert Howard, le créateur du personnage de "Conan le barbare" écrivait des poèmes où l’on sentait l’influence de Baudelaire ou d’Edgar Poe. Est-ce cela qui a inspiré à Laurent Mantese, l’auteur de cette reprise du mythe, les poèmes crépusculaires qui ouvrent chacune des trois parties du livre? Deux sonnets et six quatrains, une versification soignée, où l’on sent pointer la révérence à Hugo, à Nerval (presque paraphrasé à un moment), et bien sûr aux symbolistes – mais aussi deux ou trois vers qui boitent un peu.
Dans une autre vie, ce prof de philo qui enseigne à Toulouse, a publié aussi des poèmes chez un éditeur qui s’appelle "La Clef d’argent", renvoi explicite à un conte de Lovecraft, et sa bibliographie montre également l’influence que Jean Ray a sur lui. Nous avons donc affaire à un connaisseur.
Disparu trop tôt, Howard avait laissé un chantier que ses amis, ses disciples, s’échinèrent à parachever. Depuis, le personnage est devenu un mythe, presque une franchise, les comics et les films prenant le relais des nombreux romans parus sous le nom de Howard ou de ses continuateurs. Dans les années 90 Pierre Pelot en avait publié une savoureuse parodie sous le titre de "Konnar le Barbant".
Il s’agit d’autre chose ici. Cette chronique d’une mort annoncée est écrite dans la langue des prosateurs du XIXe, un peu au-dessus de l’écriture souvent hâtive de Howard, – on pense à Flaubert, à Hugo encore, l’auteur ne dédaignant pas l’emphase, ou l’hyperréalisme dans la description insoutenable de l’intervention chirurgicale que subit le héros, la taille et la sonde, sa langue superbe emprunte aussi sans doute à Moorcock ou G. R. R. Martin.
L’histoire est celle de la fin d’un chemin: Conan a passé quatre-vingts ans, "huit fois la somme des doigts de ses deux mains", il est atteint de la maladie de la pierre, et la double opération mutilante qu’il doit subir amoindrira notablement sa virilité. Alors qu’autour de lui se nouent les complots de fin de règne, que vient l’heure du bilan, il s’agit pour le héros de trancher les derniers liens, d’entrer dans le renoncement.
Et il n’est pas anodin que, pour l’accompagner dans ce qui sera sans doute son ultime périple il choisisse Colin, un gamin contrefait, une "créature jetée sans logique dans l’implacable tumulte du vivant" dont il a fait son fils adoptif, et dont les pas se mêlent aux siens dans les traces que la neige efface à la fin du livre, quand la forêt se referme sur eux et que tout s’enfonce "inexorablement dans le silence granitique du temps, […] comme si les hommes […] n’étaient jamais passés par là et n’avaient jamais existé".
La Sonde et la Taille - Laurent Mantese - Albin Michel Imaginaire - 613 pages - 24,90€ - ****
François Rahier
François Rahier