"Toutes les guerres sont livrées deux fois, la première sur les champs de bataille et la seconde dans les mémoires". Et c'est bien-sûr à celle des mémoires que se consacre Viet Thanh Nguyen qui est né au Vietnam en 1971 mais s'est retrouvé dans un camp en Pennsylvanie après la chute de Saïgon. Devenu professeur à l'Université de Californie du Sud, il est aussi l'écrivain finaliste du National Book Award pour cet essai, "Jamais rien ne meurt", publié en 2019 en France en même temps qu'un recueil de nouvelles, "Les Réfugiés", qui prolonge par la fiction le travail de mémoire "comparée" sur la guerre du Vietnam.
Aussi passionnant que le point de vue "autobiographique" pakistanais d'Ayad Akhtar dans "Terre natale", celui de Viet Thanh Nguyen évoque bien-sûr la mémoire des vaincus sud-vietnamiens de Little-Saïgon en Californie avant de se déprendre d'une subjectivité envahissante pour mieux essorer le regard de l'autre. C'est soudain une critique corrosive et argumentée qui déferle sur la collection de préjugés dont s'énorgueillit le cinéma et la littérature américaine.
"Apocalypse Now a été vu partout, et beaucoup de gens acceptent sa vision du monde" qui oblige "le public à regarder en face la simultanéité de l'inhumanité et de l'humanité", et "en donnant à voir le cœur noir de l'homme blanc" le fait "au détriment de l'autre, qui est maintenu dans un statut simplement inhumain et présenté comme une terrible menace" ou "comme une pauvre victime anonyme".
Mais comme Ayad Akhtar, l'auteur nous parle de cet exil qui est aussi parfois une forme de mort, et c'est surtout dans le recueil de nouvelles "Les Réfugiés" que s'incarne ce face-à-face "avec cette peur humaine et xénophobe de l'étranger". De magnifiques histoires de filiation troublées par ce saut dans l'inconnu, ce passage de la guerre à la paix armée en terre souvent hostile, cette perte d'une patrie qui n'est pas réductible à la couleur d'un drapeau mais coalise des parfums, des chants et des couleurs condamnés à se dissoudre dans la nouvelle nation.
Les Réfugiés – Viet Than Nguyen – Traduit de l'américain par Clément Baude – Belfond – 216 pages – 20€ - nouvelles
Jamais rien ne meurt - Viet Than Nguyen – Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois – Belfond 420 pages – 20€ - **** –
Lionel Germain
Jamais rien ne meurt - Viet Than Nguyen – Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois – Belfond 420 pages – 20€ - **** –
Lionel Germain