Si vous voulez comprendre le "problème" de l'allégeance contestée, lisez ce livre. De ma terre natale, je n'ai nul besoin de me justifier pour en parler. Nul besoin de me justifier pour en contester certaines règles. Mais la contestation ne vient pas de moi, dit Ayad Akhtar, elle irradie le regard que vous posez sur moi, elle suinte par les plis les plus blancs de ce drapeau largement métissé de toutes les couleurs qui se sont épuisées à le défendre. Originaire du Pakistan par un père dont le premier des paradoxes le convertit en admirateur de Trump, l'auteur interroge dans ce livre une identité américaine à jamais transformée le 11 septembre 2001.
Pour se dessaisir du vertige où l'entraîne l'effondrement des tours, Ayad Akhtar revisite l'histoire de sa famille à travers la partition de l'Inde et le souvenir des affrontements entre Musulmans et Hindous, ne pose aucun tabou sur aucun sujet, critique l'Islam et l'impuissance des Musulmans à relever les défis d'une modernité qui doit s'affranchir du religieux, mais critique aussi ce pseudo paradis des libertés où pourtant l'intolérance affleure, où la violence du capitalisme abandonne sur le parvis des banques des milliers de victimes.
Le père faussement laïc, l'oncle porteur d'une sagesse traditionnelle et la mère qui rêve d'un retour au "pays" sont les trois facettes d'un questionnement que "l'Américain" cherche à résoudre. Il y a le sexe, un au-delà du sexe comme celui qu'éprouvait le "nègre" Chester Himes avec ses compagnes "blanches". Ayad reconfigure le logiciel de la domination sans bien-sûr apaiser sa colère.
"Terre natale" est un roman parfois bouleversant mais d'abord d'une extrême lucidité sur le rapport aux différences dans un monde pétri de valeurs constamment bafouées. Un jour l'écrivain répond aux questions du public, et il y a celle-ci qui finit par arriver: puisque tant de choses vous déplaisent, pourquoi vous ne partez pas?
"Je suis ici parce que je suis né et que j'ai grandi ici. C'est ici que j'ai vécu toute ma vie. Pour le meilleur et pour le pire – et c'est toujours un peu des deux -, je ne veux être nulle part ailleurs. Je ne l'ai même jamais envisagé. L'Amérique est mon pays."
Terre natale – Ayad Akhtar – Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch – Fayard – 410 pages – 22,90€ - *****
Lionel Germain
Lionel Germain