De son enfance à Saint-Ouen, Denis, fils de brocanteur, a gardé le goût de l'indépendance un peu canaille. Son frère sous méthadone est un légume, Mirabelle, la fille qu'il aime est une "gauchiste", alors que lui fait le coup de poing rémunéré pour les "fachos". Et le patron du bar qu'il fréquente avec ses amis voudrait rapatrier le corps du maréchal Pétain à Douaumont. Ce sont les souvenirs de 1973 qui reviennent à Denis, désormais brocanteur à son tour en 2022, le jour où une femme présidente s'apprête à faire un discours depuis Verdun…
Mirabelle, comme une porte ouverte sur un monde dont il est exclu, a été la maîtresse de son frère. Dans une scène très puissante qui évite tous les écueils du genre, Chris Simon installe un corps à corps sensuel et poétique entre les deux amants sous LSD. Cette extase à laquelle Denis se refusait par culpabilité envers son frère n'est pourtant qu'un beau trip amoureux qui l'abandonne sans certitude sur l'avenir de cette relation. Parti de l'Île d'Yeu, le braquage rocambolesque de la tombe se poursuit par un rallye nocturne avec le cercueil du "proscrit".
Chris Simon n'oublie pas le point d'histoire sur la déportation des Juifs de France. Pétain n'a jamais cherché à faire "bouclier", et dès 1941, le fichage systématique a été le prélude à la déportation de 73 000 personnes sous la seule responsabilité de "Vichy".
Au détour des déambulations burlesques, on découvre également une France contemporaine profondément inégalitaire. Le luxe de l'espace privé et les pauvres privés d'espace se retrouvent dans la fiction d'un monde où la richesse ruissellerait comme la vertu sur le vice pour en atténuer la rigueur. Mais ce mouvement de consolation est un leurre. Dans la réalité, la richesse n'est jamais si loin du crime qu'elle ne puisse effacer la vertu des apparences. Ne ruisselle souvent que le sang des pauvres. Les riches ont soif. "Le renoncement du pauvre, les nantis comptent dessus. Ils font construire par leurs architectes des bâtisses aux façades monumentales et ornées qui reflètent leur supériorité, leur pouvoir et leurs privilèges."
Au-delà du symbole que représente la réhabilitation d'un maréchal dont l'Histoire ne nous apprend rien de bon mais auquel le nouveau "roman national" rend hommage, l'accession de cette présidente au pouvoir en 2022 valide le triomphe des idées simples. «Il suffit de dresser les très pauvres contre ceux qui le sont moins, les immigrés contre leur descendance, les étrangers contre les "de souche"»
En marge du monde de l'édition, Chris Simon fait preuve de rigueur dans la construction de ses intrigues. Personnages crédibles, péripéties nombreuses et passionnantes, scénario original: on aimerait qu'un bon réalisateur s'en empare.
Road-movie pour un proscrit – Chris Simon – Impression à la demande: chrisimon.com – 280 pages – 15,90€ - 3,99€ sur Kindle - ***
Lionel GermainSur le site de l'auteur