Avec Benjamin Whitmer, auteur de "Cry Father" et de "Pike", deux romans dont on avait salué la rage froide, le noir est une couleur qui vient du ciel. "Évasion" vient confirmer l'inclination de l'écrivain pour les saisons glacées. Une histoire de cavale dans la grande tradition du roman américain. Une prison, douze évadés, des chasseurs d'hommes, journaliste et pistards professionnels, pas de prologue, ni de plan large en ouverture, le réel qui vous harponne dès la première phrase.
Si les chants désespérés sont les plus beaux, alors on peut dire que le roman de Whitmer est magnifique. Pas une once de lumière pour éclairer ce paysage sur lequel la neige amortit à peine les ombres. Quelque part dans le Colorado, Old Lonesome est une ville avec une prison. Et de ce lieu d'enfermement, les habitants semblent puiser une énergie sombre qui réduit le "dehors" à un reflet du cauchemar carcéral.
Avec Jim, le gardien harcelé depuis l'enfance, Whitmer dresse le portrait fascinant d'une victime quasi mutique. Résigné à cette "mort lente et suffocante" que ce Noël de la fin des années soixante n'apaise en rien, il encaisse les coups et poursuit sans passion la traque des évadés. Parmi eux, Mopar, justicier renvoyé derrière les barreaux pour avoir corrigé un flic sadique. Le monde de Whitmer est une flaque de boue dans laquelle surnagent des spectres reliés entre eux par des lambeaux d'humanité. Superbe.
Évasion – Benjamin Whitmer – Traduit de l'américain par Jacques Mailhos – Gallmeister – 416 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 14 octobre 2018Lire aussi dans Sud-Ouest